Article paru
dans la revue
de l'Association Belge des Amis de
Saint-Jacques-de-Compostelle,
"Le Pecten ", n° 97, 2010, pp. 15-1
Présentation et commentaires du livre de Suzanne Dubois et de André Linard :
Compostelle. La mort d'un mythe ? *
par Pierre Swalus
Les auteurs, sont partis de
Bruxelles et arrivés 3 mois plus tard à Compostelle ; ils ont emprunté
le chemin de Paris et Tours et puis en Espagne le camino Francés.
Ils ne nous livrent pas un journal
de leur pèlerinage ou la descriptions de leurs étapes, mais ils
partagent avec nous leurs interrogations et réflexions, leurs
enthousiasmes et émerveillements, et aussi leurs déceptions.
Si j’ai bien aimé leurs
questionnements notamment sur ce qui les motive à se mettre en route,
sur ce qu’est pour eux être pèlerin, sur le sens qu’a le fait de
supporter les difficultés et parfois la souffrance et de continuer
malgré tout, sur les limites à ne pas dépasser, sur ce qui distingue le
chemin de la balade… et si j’ai aussi aimé leurs enthousiasmes face à
ces moments uniques de rencontre avec les paysages, avec les autres et
avec eux-mêmes, à la chaleur de certaines rencontres fortuites, aux
échanges avec certains hôtes d’une nuit, à tous ces petits gestes de
ceux qui les voient passer…, j’ai surtout été interpellé par leur
déception face à leur expérience du camino Francés.
Alors que leur traversée de la
France les avait comblés dans leur attente face au pèlerinage, leur
chemin en Espagne sur le camino Francés les a profondément déçus.
Déçus par la foule omniprésente
(ils croisent plus de pèlerins entre Roncevaux et Larrasoaña que lors de
toute la traversée de la France), cette foule qui gène le silence et la
présence à soi-même, qui paradoxalement rends les véritables rencontres
difficiles et qui entraîne bien malgré soi la course à l’hébergement.
Cette foule qui remplit les commerces, cafés et restaurants et qui se
comporte parfois comme des touristes en pays conquis ; qui entraîne
aussi la difficulté et la rareté de contact avec les autochtones qui
peuvent souvent se sentir envahis.
Et parmi cette foule, il y aussi
ces sans-gêne qui bousculent pour être les premiers, qui témoignent peu
de considération pour les commerçants, les hospitaliers, les
autochtones, qui ne respectent pas non plus les autres pèlerins, qui
monopolisent les espaces…
Il y a aussi les rouspéteurs, les
jamais contents qui croient que leur statut de pèlerin leur donne tous
les droits … Il y aussi les coquillards qui voyagent en voiture ou en
cars, marchent les derniers kilomètres, arrivent les premiers à
l’auberge et n’étant pas fatigués gênent le repos des autres…
Face à cette massification, le
chemin se mercantilise et se fonctionnarise de plus en plus ; s’il est
normal et bon que les villageois profitent matériellement de l’apport
des pèlerins, il n’empêche que le pèlerin devient de plus en plus le
client et que dans pas mal d’auberge l’hospitalier se transforme en
fonctionnaire qui contrôle les crédenciales, met le cachet et attribue
les lits…
Pour les auteurs, le pèlerinage, du
moins sur le camino Francés, victime de son succès, s’enfonce dans une
contradiction dont il aura du mal à sortir : plus il attire de monde,
moins il permet de réaliser ce qui le rendait attirant !
Si la vision, bien sûr subjective,
qu’ont les auteurs du camino Francés est très pessimiste (peut-être
trop) et que d’autres pèlerins voient peut-être les choses différemment,
il n’empêche que leur déception et leur constat interpellent.
Interpellation qui remet en
question le statut du camino Francés en tant que « le chemin à faire »
et interpellation personnelle quant à notre propre comportement de
pèlerin : comment œuvrer pour préserver autant que faire se peut
l’esprit du cheminement vers Compostelle.
A lire et méditer !
*Éditions Couleurs livres,, Bruxelles,
2010
peut être commandé sur :
http://www.couleurlivres.be/html/nouveautes/compostelle.html