il y a des vrais pèlerins de Compostelle et d'autres moins vrais

balise européenne vers compostelle

IL Y A DES VRAIS PÈLERINS ET D’AUTRES MOINS VRAIS : LE VRAI EST CHRÉTIEN… 

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Article publié dans la revue électronique "Les zoreilles du chemin", N° 084, 2018, pp.7-8

Un sujet épineux : « qu’il y a des vrais pèlerins et d’autres moins vrais ; que le vrai est chrétien… »

par Pierre Swalus pierre.swalus@verscompostelle.be

 

Cette question « le non chrétien est il un pèlerin à part entière sur les chemins de Compostelle ? » ne m’était jamais apparue au cours de nos différents pèlerinages vers Saint Jacques. Évidemment pas au cours de nos deux premiers car nous étions, ma femme et moi, encore à cette époque des chrétiens convaincus quoique très critiques face à l’institution religieuse, mais pas plus au cours de nos pèlerinages suivants, alors que nous avions progressivement évolués vers l’agnosticisme pour ne pas dire l’athéisme…

Nous étions et sommes toujours membre d’une association jacquaire dont la devise est « À chacun, son chemin » et il nous semblait évident que n’importe qui se mettant en route vers Compostelle était sans conteste, un pèlerin.

Une fois seulement, un article écrit dans la revue de l’association par un membre éminent de celle-ci, qui disait entre autre chose « qu’il est de notre devoir, à nous jacquaires convaincus s’il en est, d’en (du pèlerinage) rappeler le véritable sens, qui n’est rien s’il ne s’ancre dans la foi chrétienne ; une foi qui peut être vécue de bien des manières mais qui repose toujours sur un socle intangible où Dieu, les saints, la prière et l’offrande ont leur place »(1) m’ avait fait réagir dans un article réponse.(2) dans la même revue, article dans lequel je rappelais la devise de notre association et aussi qu’il n’est pas nécessaire d’être chrétien pour être en quête de sens et de spiritualité

Que cette question soit effectivement un sujet sensible m’est apparu en 2017 par les réactions en sens divers que suscita un petit article que j’avais fait paraître sur facebook(3).

Dans cet article, je reprenais le texte d’un poème anonyme du XIIIème siècle(4) vantant l’accueil offert par le monastère de Roncevaux  et qui disait « La puerta se abre a todos, enfermos y sanos, no sólo a católicos, sino aun a paganos, a judios, erejes, ociosos y vanos ;y más brevemente, a buenos y profanos » (La porte est ouverte à tous, aux malades et aux bien-portants, pas seulement aux catholiques, mais aussi aux païens, aux juifs, aux hérétiques, aux oisifs et aux vaniteux ; en bref, aux gens de bien comme aux profanes). Je relevais dans cet article le fait remarquable que l’ouverture du chemin de Compostelle à des mécréants de toutes sortes n’était pas un phénomène nouveau.

Et malgré le fait que cet article ne faisait que conforter l’ouverture du pèlerinage  à tous quelles que soient leurs convictions,  il suscita,  à ma grande surprise,  des réactions nombreuses et en sens très divers :

  •  allant de la réaffirmation de cette ouverture :          
    « Dante a dit : "est pèlerin celui qui part pour Compostelle. " donc, nous sommes tous pèlerins, cathos ou non »

  • à l’étonnement que la question soit soulevée : 
    « …avec les pèlerins qui faisaient le même chemin que moi,  jamais la question « t'es de quelle religion ?» n’a été posée… »

  •  à l’incompréhension ou au rejet de la question :          
    « Je ne comprends pas bien cette réflexion… »         
    « Quelle importance. A chacun ses motivations personnelles… »       
    « …arrêtez de vous posez des questions métaphysiques sur qui est catho et qui ne l’est pas… »

  • en passant par l’affirmation de son statut de non croyant :    
    « Oui,  je fais partie des mécréants… »         
    « Je suis athée et j'ai fait le pèlerinage… »

  • ou à l’affirmation de ne pas être un pèlerin :
    « …j'emprunte ce chemin comme un randonneur et non comme un pèlerin. »      
    « …et plus je marche plus je me sens randonneuse…. »

  • en passant par le rappel de la définition du mot « pèlerin » : 
    « on change les dictionnaires comme on veut ?» en réponse à l’affirmation «croyant ou non croyant, on est tous des pèlerins ».

Et effectivement,  suivant le Larousse,  le pèlerin  est une «  Personne qui va visiter des hauts lieux de piété dans un but essentiellement religieux. »(5)

Que cette définition soit gênante  dans la problématique évoquée va de soi et ce n’est pas pour rien qu’un site maçonnique parle lui de « cheminants » plutôt que de pèlerins « parce que ce dernier mot emporte avec lui une connotation religieuse réductrice au regard de l'universalisme des Chemins et de la diversité des cheminements »(6).

Cependant l’idée qu’il ne faut pas  chercher sur les chemins de pèlerinage à définir qui est pèlerin et qui ne l’est pas, est défendue par beaucoup et certainement par ceux qui les connaissent le mieux pour les avoir accueillis en grand nombre. Citons  l’abbé SÉBASTIEN IHIDOY(7), curé de Navarrenx de 1981 à 2001, grande figure du chemin,  qui a accueilli quantité de pèlerins dans son presbytère et JEAN-MARC LUCIEN(8) qui lui aussi a vu passer chez lui,  à Saint-Privat d’Allier, des milliers de pèlerins de toutes sortes et pour qui « est pèlerin celui qui se définit comme tel ».

Mais ces prises de position de personnes qui font autorité sur les chemins, sont de l’ordre de la subjectivité et il a été dit qu’ « un fait est plus fort qu'un lord-maire ».

Et donc, au delà des paroles,  que nous montrent certains faits ?

Un premier fait : la « Compostela ». Il est dit qu’elle est accordée à ceux qui « make the pilgrimage for religious or spiritual reasons, or at least an attitud of search… » (9). ce qui montre une ouverture au non croyant, mais le texte sur la Compostela par contre dit que « « un tel »  hoc sacratissimum Templum pietatis causa devote visitasse. » c. à d . « qu’un tel » a visité ce temple sacré avec des sentiments religieux (la traduction donnée par l’office des pèlerins est «  has devotedly visited this most sacred temple with Christian sentiment (pietatis causa). » (10). Texte qui met le non croyant manifestement en porte-à- faux.

Un second fait : « l’accueil francophone Saint Jacques de Compostelle » mis en place par les Évêques de France avec l’appui de l’Église de Santiago(11). Accueil donc,  on ne peut plus chrétien. Dans la tête de celle qui fut l’inspiratrice de cet accueil résonnait les mots “accueil, accompagnement, évangélisation”(12).  Le programme proposé est bien évidemment centré sur une approche chrétienne.

Autre fait : « Les  associations jacquaires » dont le journal La Croix dit que « la dimension religieuse, plus ou moins marquée, est présente dès lors qu'il y a « Saint-Jacques » dans le nom de l'association, et qu'elle parle de « pèlerin » »(13) . Même si certaines  d’entre elles s’affichent comme laïques ou pluralistes, si d’autres sans se définir comme telle ne se définissent pas non plus comme étant confessionnelles et si la plupart sont totalement ouvertes aux non chrétiens et respectueuses de la démarche personnelle de chacun, beaucoup cependant sont d’orientation franchement chrétienne. Cela se manifeste notamment dans la personne de leurs dirigeants, dans les mots de leur président ou encore dans le soutien accordé,  en tant qu’association, à l’accueil francophone à Compostelle. Pour ce dernier point citons parmi d’autres la « Fédération Française des Associations des Chemins de Saint Jacques de Compostelle », l’ « Association suisse des Amis du Chemin de Saint-Jacques », l’ « Association Belge des Amis de Saint-Jacques-de-Compostelle »,  l’ « Association Québécoise des pèlerins et amis du chemin de Saint-Jacques »ou encore la « Société française des Amis de Saint-Jacques de Compostelle »(14) dont aucune ne se définit comme confessionnelle(15).

Il est évident que ces faits sont tout à fait logiques. Saint Jacques est sans conteste une figure de l’église catholique ; le tombeau supposé de saint Jacques appartient à l’histoire de l’église de Compostelle et  le pèlerinage vers Compostelle est à l’origine un pèlerinage chrétien…

Alors…?

Alors,  il semble normal d’accepter qu’une ambiguïté continue d’exister quant au statut de pèlerin vers Compostelle. Celui qui se met en route vers Compostelle, croyant ou mécréant, croit, en général,  savoir pourquoi il part, il le sait parfois clairement, parfois aussi  d’une manière extrêmement confuse. Parfois aussi, sa motivation change-t-elle  en cours de route. Ce qui est objectif dans cette démarche est le fait de se mettre en chemin ; ce qui est subjectif et donc sujet à interprétation,  c’est le pourquoi…

En acceptant cette ambiguïté, on ne peut plus, face à celui qui se dit pèlerin, se risquer à juger s’il est un vrai pèlerin ou un moins vrai.

Pour terminer je ne puis m’empêcher de reprendre ici un texte (parce que je l’aime) qui, parlant du touriste et du pèlerin,  en dit ceci : « Le rapport à l’étranger est peut-être essentiel dans le pèlerinage : peregrinus était en latin le voyageur, l’étranger ; le pèlerin fait l’expérience d’être un voyageur sur la terre, un étranger en chemin et sur le lieu de son pèlerinage. Par contre le touriste recherche le dépaysement mais il ne se sent pas étranger sur son lieu de vacances : l’étranger c’est l’autochtone, qui est donc prié tout à la fois de garder son étrangeté (facteur de dépaysement) et de s’adapter aux désirs des touristes »(16). (17)

Cette idée cadre bien avec cet adage si souvent répété  (mais à mon sens très contestable) « le touriste exige, le pèlerin remercie ».

 

(1)   CAUCHIE Jean-Marie, « Quels chemins pour quel Saint-Jacques ? Ou du besoin de se « recentrer » sur le spirituel… »., Le Pecten, 2011, N°101, pp. 7-8

(2)  SWALUS  Pierre, « A propos des vrais pèlerins et des autres beaucoup moins vrais… »,  Le Pecten, 2012, N° 102, p. 29

(3) SWALUS  Pierre, « La porte est ouverte à tous », En ligne sur le site Vers Compostelle de Pierre et Simonne Swalus : https://verscompostelle.be/

(4) Ce texte manuscrit dont un exemplaire est conservé aux Archives de Roncevaux et un  autre à Munich a été publié pour la première fois par F. FITA en 1884 : FITA Fidel, Boletin de la Real Academia de la Historia, Madrid, t. IV, 1884, pp.172-184 cit.in : LAMBERT Élie. « Roncevaux ». In: Bulletin Hispanique. Tome 37, N°4, 1935. p. 424.  http://www.persee.fr/

(5) Dictionnaire du Français Larousse , En ligne :  http://www.larousse.fr/

(6) Anonyme, « Pourquoi mettez-vous une majuscule à chemin, pourquoi parlez-vous de cheminants, pas de pèlerins? » En ligne sur le site La Ruta Jacobea. Mesnie des trois chemins  : http://rutajacob.free.fr/

(7) IHIDOY Sébastien, « Le devoir et le privilège d’accueillir »Le Bourdon, 1996-97, n° 11, pp. 3-4

(8) LUCIEN Jean-Marc, « Pèlerins et randonneurs sont-ils si différents ? » En ligne sur le site Webcompostela : http://www.webcompostella.com/  (supprimé du site depuis)

(9)  « The Compostela » : En ligne sur le site de l’Office des Pèlerins :  https://oficinadelperegrino.com//

(10) Ibidem : https://oficinadelperegrino.com/

(11) Web Compostella ,  « Accueil francophone Saint Jacques de Compostelle »  En ligne sur le site de Web Compostella ; Conseils pratiques et éclairages spirituels sur les chemins de Saint Jacques : www.webcompostella .com/

(12) Ibidem , « Accueil francophone en 2015 »   En Ligne sur www.webcompostella.com/

(13) De COUTARD Gwénola, « Tout au log du chemin de Saint-Jacques, les associations aident les pèlerins » En ligne sur le site La Croix : https://www.la-croix.com/

(14) Web Compostella , « Partenaires et donateurs » En ligne sur www.webcompostella.com/

(15) La FFACC : pluraliste ; l’Association Helvétique : neutre ; l’ABASJC : pluraliste ; l’Association Québecoise : non confessionnelle ; la Société française : ne se définit pas.

(16) Anonyme , « Le touriste et le pèlerins »,  En ligne sur le site « I quès és la veritat » :  https://thomasmore.worldpress.com/

(17) Il est d’ailleurs frappant de constater combien nombreux sont les pèlerins qui arrivés à Compostelle se sentent étrangers face à la foule de touristes de toutes sortes qu’ils côtoient…

 

mis en ligne le 06/03/2018