L'INVENTION DE SAINT-JACQUES DE COMPOSTELLE |
PLAN DU SITE | Bienvenue | Motivations | HISTOIRE ET LÉGENDES | Bibliographie du pèlerinage | Associations jacquaires | Revues électroniques | Pèlerinage et humour | Vidéos pour découvrir | Chansons de Compostelle | Les patronages de saint Jacques | Que penser de la marche | Que coute le pèlerinage | Conseils pratiques | La credencial | Adresses et liens | GENEALOGIE | RANDONNÉE | Nous contacter
L’INVENTION DE SAINT-JACQUES DE
COMPOSTELLE
par Pierre SWALUS Le terme invention a
plusieurs sens. En religion, il
signifie notamment la découverte d’une relique :
dans le cas présent il pourrait s’agir de la
découverte du corps de saint Jacques en Galice. Un autre sens du
terme invention est le fait d’imaginer, de créer
quelque chose qui n’existait pas auparavant. L’article qui suit et
dont les idées proviennent pour la plus grande
partie de l’article d’Adeline RUCQUOI «Littérature
Compostellane IXe-XIIE siècles. Textes et Contextes »
(1) et pour la fin du texte d’un autre article de
la même autrice «Le chemin français vers
Saint-Jacques : une entreprise publicitaire au XIIe
siècle »(2) devrait permettre à chacun de
choisir dans quel sens prendre le titre du présent
article. L’autrice fait
remarquer que bien que faisant partie des quatre
premiers apôtres (avec Pierre ; André et Jean), les
informations concernant saint Jacques le Majeur sont
rares. Ainsi Eusèbe de
Césarée, alors qu’il parle abondamment de Pierre et
Jean, ne consacre que quelques lignes à saint
Jacques. De même les évangiles apocryphes sont
avares de renseignements à son sujet alors qu’il
parle beaucoup de Jacques dit « le juste », premier
évêque de Jérusalem. Durant les premiers
siècles, Jacques le juste, auquel sont attribués
l’épitre de Jacques et un Évangile et Apocalypse
évoquant la vie de la Vierge Marie et qui est
destinataire d’une lettre de Pierre et de saint
Clément, occupe le devant de la scène. Un texte attribué à
Isidore de Séville nous apprend que saint Jacques,
frère de Jean, évangélisa l’Espagne mais il s’agit
très vraisemblablement d’une interpolation
puisqu’une version antérieure du texte attribuait à
saint Paul cette évangélisation. « De
fait, le culte à saint Jacques dans l’Espagne
wisigothique brille par son absence et les reliques
de saint Jacques mentionnées dans une liste de
celles que possédait une église dédiée à la Vierge
Marie à Mérida peuvent très bien, ne serait-ce qu’en
raison des liens étroits alors entretenus par la
ville avec les communautés de Méditerranée
orientale, avoir été celles du premier évêque de
Jérusalem, amplement vénéré en Orient »(2) L’église d’Espagne
vivait en autarcie et à l‘instar des Église
orientales préservait jalousement son autonomie :
rite propre, calendrier liturgique propre,
traduction particulière de la bible, nomination
locale des prélats. Dans la seconde
moitié du VIIe siècle, l’Église de Tolède et celle
de Rome n‘étaient pas en très bons termes et le
métropolitain de Tolède avait revendiqué
l’orthodoxie de son siège en réponse à certaines
critiques émises par le pape. Au début du VIIIe
siècle, la fin du royaume Wisigoth par l’invasion
musulmane désorganise l’Espagne et suscite des
troubles dont tentent de profiter le pape et les
Francs pour contrôler l’Espagne. De plus à la faveur
des troubles, des déviances doctrinales s’étaient
manifestées. Le pape Adrien Ier
chargea l’évêque Egilia, protégé du roi des Francs
Charles, de rétablir la foi catholique en Espagne,
d’éradiquer les idées fausses et les hérésies et
d’’imposer la suprématie romaine en lieu et place
de l’autorité tolédane. « Il faut sans
doute situer dans ce contexte les débuts de la
revendication de
l’apôtre
saint Jacques comme évangélisateur de l’Espagne. »
(3) Ceci d’autant plus que la
tradition Wisigoth qui attribuait à 7 évêques
envoyés par saint Pierre et saint Paul
l’évangélisation de l’Espagne (évêques enterrés et
vénérés dans les villes qui avaient été leur siège),
et qui faisait de saint Pierre l’intermédiaire entre
le Christ et l’Espagne, était toujours vivace mais
dans le sud de l’Espagne, région toujours sous
domination musulmane. « Le recours à cet apôtre,
jusqu’alors peu connu, sans « biographie » qui
aurait pu contredire sa présentation comme
évangélisateur de l’Espagne, en un laps de temps
assez court puisqu’il est le premier apôtre
martyrisé, permettait donc de réaffirmer l’autonomie
de l’´Église d’Espagne face aux prétentions
pontificales. »(4)
Il restait cependant un problème : les sept évêques
vénérés dans le sud de l’Espagne comme les
évangélisateurs, étaient enterré dans des lieux
précis. Leurs reliques pouvaient être vénérées. Il
fallait donc qu’il en soit de même pour saint
Jacques. La nouvelle de la
découverte des reliques de saint Jacques en Galice
fut diffusée de même que la manière dont ce corps
apostolique avait voyagé depuis Jérusalem, lieu du
martyre, jusqu’en Galice. L’ « Epistola Leonis
pape de translatione Sancti Jaobi in Galliciam »
semble avoir largement circulé puisque dès la
deuxième moitié du IXe siècle, il fut ajouté à la
brève notice du 25 juillet que les restes de
l’apôtre Jacques, frère de Jean, étaient ensevelis
en Galice. Cependant
l’évangélisation de l’Espagne par saint Jacques et
la présence de ses reliques à Compostelle étaient
contesté par certains. Ainsi le pape Léon IX
excommunie l’évêque d’Iria-Compostelle pour avoir
paré son siège du titre d’apostolique. En 1074, le
pape Grégoire VII rappelait que l’Espagne avait été
évangélisée par saint Paul et par sept évêques
envoyés par Rome et enjoignait l’église d’Espagne de
reconnaitre l’église de Rome et d’adopter le rite
romain sous peine d’excommunication. Rome niait donc tant
l’évangélisation de l’Espagne par saint Jacques que
la présence de ses reliques à Compostelle. En 1086 Rome fait
nommer l’abbé Bernard primat des Espagnes et cherche
à soumettre tous les évêques d’Espagne à son
autorité. « L’Église de
Compostelle, qui attirait des pèlerins en nombre
croissant et dont la renommée avait dépassé les
limites de l’Europe, se devait de réagir »(5). Le Codex
Calixtinus (compilation de textes divers vers
1140-1160) devait achever la construction de saint
Jacques évangélisateur de l’Espagne. Très
habilement, le prologue du IIIe livre attribué au
pape Calixe II précise le choix par saint Jacques de
neuf disciples en Galice qui seraient allés à Rome
pour recevoir l’ordination épiscopale de saint
Pierre et de saint Paul. Ainsi la tradition des sept
évêques envoyés par Rome était sauvegarder mais au
profit de saint Jacques. Ceci semble avoir
amené un apaisement et l’arrêt des campagnes
cherchant à faire admette l’évangélisation de
l’Espagne au départ de Rome. Le Codex Calixtinus
joua également un autre rôle. Pour assurer la
prospérité de Compostelle et les ressources
nécessaire à l’immense basilique, il était
nécessaire d’attirer plus de pèlerins. Jusqu’au milieu du
XIIe siècle les pèlerins qui se rendaient à
Compostelle empruntaient essentiellement deux
routes ; d’une part la route maritime qui débarquait
les pèlerins sur la côte cantabrique principalement
à Noega (Gijón) et d’autre part l’ancienne voie
romaine qui reliait la Méditerranée à la Galice en
suivant l’Èbre puis le nord de la meseta.
Il fallait donc faciliter l’accès des pèlerins à
Compostelle. L’Iter francigenus était une
route récente au moment où fut composé le Codex
Calixtinus. Pour y attirer les pèlerins, le livre
consacré à Charlemagne et à ses batailles contre les
sarrasins « servait ainsi d’annonce
“publicitaire” pour faire affluer les pèlerins le
long de la voie récemment créée par les rois et les
prélats ». (7) Le 5ème livre du
codex n’était pas un guide écrit par des pèlerins à
propos d’un chemin très fréquenté mais semble plutôt
être le créateur de ce chemin : « Les auteurs du
Liber inventent un chemin, à la fois réel et
merveilleux, qui mène des grands sanctuaires de
pèlerinage du XIe siècle –Jérusalem, Rome,
Saint-Martin de Tours, Vézelay, Le Puy, Saint-Gilles
vers la basilique de Compostelle »(8) Que conclure suite à
ces diverses inventions : celle de saint Jacques
évangélisateur de l’Espagne, celle de la translation
et de la découverte de ses reliques et celle du
camino Francés ? NOTRE PROPRE
CONCLUSION : Ces diverses inventions ont créé la
légende de Compostelle. A partir de ces inventions,
un pèlerinage millénaire est né. Saint Jacques a été
et est toujours honoré par une foule de pèlerins. Le pèlerinage à
Saint-Jacques de Compostelle est une réalité bien
vivante.
-------------------------------------
(1) RUCQUOI Adeline, Littérature compostellane
IXe-XIIe siècles.
Textes et Contextes,
In :, « Unterwegs im Namen der Religion II. Wege und
Ziele in vergleichender Perspektive – das
mittelalterliche Europa und Asien”, 2016, eds. Klaus
Herbers & Hans Christian Lehner, Franz Steiner
Verlag, Stuttgart, pp. 119-140 [ISBN
978-3-515-11464-6]
(2) ib. p.123
(3) ib. p.126
(4) ib. p.127
(5) ib. p.130
(6) RUCQUOI
Adeline,
Le “chemin français” vers Saint-Jacques: une
entreprise publicitaire au XIIe siècle,
In Paolo Caucci VON SAUCHEN, « De pergrinatione »,
Edizioni Compostellane, 2016, pp. 607-630
(7) ib. p.619
(8) ib. p.626
Mis en ligne le 12/01/2023
pierre.swalus@verscompostelle.be