PÈLERIN OU TOURISTE ? par André JACOB |
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PÉLERIN OU TOURISTE ? (0) par André JACOB 11 janvier 2018 S’interroger sur le voyage, c’est d’abord en rappeler la symbolique pour y
trouver un sens. Une des premières significations historiques dans le monde
occidental tient sa source des grands livres de la Parole, lesquels ont révélé
la démarche du pèlerin, premier voyageur. Dans les grandes religions, le pèlerinage réfère souvent à la situation de
l’être humain sur Terre et à son cheminement vers la mort; la vie étant
éphémère, chaque être cherche son devenir. L’Ancien Testament réfère au grand
pèlerinage du peuple juif qui traversa la mer Rouge pour gagner la Terre
promise. Le récit de l’Exode relate non seulement la fuite de la répression,
mais la recherche d’un mieux-être et de la liberté. Comme le soulignent Armand
et Éliette Abécassis dans leur livre sur les passeurs dans l’histoire du
judaïsme, la métaphore de l’Exode représente un mouvement de libération : « La
libération d’un peuple ne peut résulter, en effet, d’un déterminisme quelconque,
mais d’un acte transcendant de volonté éthique (1). » Dans l’islam, le grand voyage vers La Mecque symbolise le détachement complet
pour se consacrer à une longue marche de purification, de méditation et
d’adoration de Dieu (2). Le Nouveau Testament fait aussi état de voyage. Le Christ lui-même se
déplaçait fréquemment. Saint- Paul aurait fait le tour de la Méditerranée pour
prêcher. Et à travers les âges, des millions de pèlerins ont emprunté divers
sentiers pour rejoindre des lieux jugés inspirants. En général, de longues
marches se font dans le dépouillement, car il s’agit de se libérer du quotidien.
Il y a là une forme d’ascèse purificatrice. Chez les chrétiens, à partir du Moyen-âge, les pèlerinages ont pris de
multiples formes concrètes, particulièrement dans les pays occidentaux. Le
pèlerinage vers Saint- Jacques-de-Compostelle devint le plus fameux à partir du
IXe siècle, à la suite d’une rumeur qui voulait qu’un ermite, Pélage, ait
découvert les restes de l’apôtre Saint-Jacques. Au fil des siècles, les pèlerins
ont convergé vers ce lieu mythique afin de gagner des indulgences et ainsi avoir
une meilleure place au paradis. Dans ce but, croyait-on, il fallait se purifier
et pour ce faire, il fallait marcher, jour après jour. PÈLERINAGE ET VOYAGE SANS SIGNIFICATION Pas besoin d’être grand clerc pour réaliser que les pèlerinages modernes
valorisent moins le cheminement spirituel. La commercialisation de toutes les
formes de voyage a envahi le champ du pèlerinage et en a fait une mode. Les
formules varient, mais l’objectif consiste à faire du « déplacement » un produit
de consommation. Nous vivons dans le royaume du voyage « organisé », défini,
tout inclus. Christin en résume l’esprit : « Qu’on le veuille ou non, la
pratique des routes toutes tracées est une improbable évasion. […] Quand
l’imprévu fait irruption dans une prestation touristique, il prend souvent la
figure de l’accident, aussitôt interprété comme une défaillance du service(3) » Dans cette dynamique capitaliste dominante, le véritable pèlerin ressemble à
un rescapé d’une époque révolue. Le pèlerin résiste à l’appel du grand confort
et du voyage défini à l’avance. Certes, le pèlerin d’aujourd’hui se retrouve
mieux outillé contre les aléas des chemins (intempéries, risque d’agression,
hébergement manquant ou inadéquat, etc.). Il sait à quoi s’attendre et les
ressources pour minimiser les risques sont importantes. Par contre, en elle-même
la longue marche exige le dépouillement. Le pèlerin moderne se situe aux antipodes de ces touristes qui se déplacent
dans un luxueux véhicule récréatif qui leur offre tous les conforts et leur
donne l’impression qu’ils sont toujours dans leur univers connu. Le pèlerin
abandonne son bien-être au quotidien et laisse ses commodités et son luxe
derrière lui. Il se dépouille pour se placer en rupture avec la routine et se
met en route vers l’inconnu. Le pèlerin imagine la destination, le but de sa pérégrination, mais il ne la
connaît pas vraiment. Il fait confiance à l’avenir, car il transporte l’espoir
par son témoignage, non par son avoir. Il doit garder son baluchon léger s’il
veut progresser d’une manière convenable. La sobriété est l’une des principales
consignes à respecter. Pour vivre pleinement son pèlerinage, il importe surtout
d’être disposé à apprendre de ce vécu, aussi temporaire soit-il. LE PÈLERIN COMME PASSEUR Se placer dans l’esprit du pèlerinage, c’est accepter de témoigner d’une
autre forme de vie que le voyage comme produit de consommation de masse.
Volontairement ou non, le pèlerin devient passeur de sens. Premièrement, le pèlerin démontre sa confiance en ses propres capacités. Il
se place en état de vigilance continue, en se répétant qu’il peut avancer sans
se sentir lié à toutes les contraintes de la société de consommation. Il croit
en l’avenir. Tout culmine vers une affirmation de soi avec la foi du pêcheur
convaincu que la mer lui donnera la pêche dont il rêve. Son rythme de marche
devient une sorte d’hymne à la force de la vie. Qu’il expérimente la richesse de
la solitude ou celle des rencontres imprévues, il doit faire preuve d’endurance,
de détermination et de conviction, car il ne doit jamais perdre de vue la visée
qui anime tout son être, soit atteindre sa destination. Sa démarche correspond à
un projet toujours en devenir. L’atteinte du point final couronne le sens d’un
parcours et confirme que tous les efforts ont été faits pour le découvrir. Deuxièmement, le pèlerin révèle que la liberté est au cœur de la vie. C’est
le sens même de la démarche. Quand une personne décide de s’engager sur un
chemin de découverte, elle prend vite conscience de la nécessité de s’orienter
vers cette quête. Il ne s’agit pas de fuir la routine, de « changer d’air » ou
de « faire la belle vie sous le soleil » comme le hurlent les promoteurs de
rêves ailleurs; au contraire, il s’agit de se concentrer sur la tâche à
accomplir, marcher, et de respecter les impératifs du moment présent – ce qui
ressemble fort à la trame de notre vie faite de multiples impondérables malgré
les meilleures planifications. Troisièmement, le pèlerin doit faire preuve de solidarité. Alors qu’il est
concentré sur ses efforts solitaires, la solidarité s’impose d’elle-même. Le
partage des ressources tout au long d’un chemin va de soi. En cas de pépins, de
maladie, de blessures, d’un manque de nourriture, d’eau ou d’un lit, la
recherche de solutions conduit à l’échange. D’une certaine façon, le pèlerinage
s’oppose au « tout fait sur mesure » et tend vers une simplicité volontaire qui
fait appel à l’entraide. Ainsi, les exigences de la route créent des conditions
propices aux rencontres enrichissantes voire aux nouvelles amitiés. En somme, dans une longue marche concrète mais aussi symbolique, en mettant
un pied devant l’autre, en faisant l’effort de vaincre les obstacles sur notre
route, appuyés sur un simple bâton, nous nous retrouvons en situation de
redécouverte de la beauté du monde et de découverte de soi. En chemin, nous dépouiller du fardeau de nos faiblesses et des encombrements
matériels ne signifie pas nécessairement vivre dans la dèche, ce qui est un
choix personnel. Il s’agit plutôt, comme le mentionne Dominique Boisvert, de
découvrir notre richesse intérieure, « comme Jésus l’a lui-même enseigné durant
les quelques années où il a parcouru son pays, la Palestine ». « L’amour est
sans limites. Il peut combler la vie, plus et mieux que toute autre richesse (4)
», commente-t-il aussi. Ce peut paraître tout simplement un récit lyrique, mais la réalité du
pas-à-pas ramène au concret tout autant qu’à la recherche de sens. En d’autres
mots et paradoxalement, le dépouillement qu’exige le pèlerinage nous donne
l’énergie pour aborder le parcours de notre vie avec la foi en l’avenir, la
force de la solidarité et l’espérance que l’aboutissement de notre vie nous
amènera à dire : je suis, je serai et j’aurai été heureux et libre. ------------------- (0) JACOB André, Pèlerin ou touriste ? , En ligne sur le site
de L'église unie du Canada :
https://egliseunie.ca/pelerin-ou-touriste/#respond (1) Armand et Éliette Abécassis, Le livre des passeurs. De la Bible à Philip
Roth,trois mille ans de littérature juive. Paris, Robert Laffont, 2007, p. 27-28. (2) Ahmed Elouazzani, Le pèlerinage, ses secrets et ses symboles. (3) Rodolphe Christin, Manuel de l’anti-tourisme, Montréal, Écosociété, 2017,
p. 48-49. (4) Dominique Boisvert, La pauvreté vous rendra libres!, Montréal, Novalis,
2016, 134-135.