LE TURIGRINO : UNE ESPÈCE EN VOIE DE DÉVELOPPEMENT |
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LE TURIGRINO : UNE ESPÈCE EN VOIE DE DÉVELOPPEMENT
par Pierre SWALUS
« Turigrino »,
un néologisme espagnol pas encore admis par la « Real
academia Española » mais déjà largement utilisé et pas si
nouveau que
cela puisque l’article qui en parle (1) date déjà du
08/09/2010 et qu’il est commenté en avril 2011 par Stevens
SCHWARTZMAN dans un site anglais consacré aux relations
linguistiques entre l’espagnol et l’anglais (2).
L’auteur explique que ce mot-valise provient de la fusion
avec troncation des termes espagnols « turista » et « peregrino »
et désigne une personne qui marche sur le chemin de
Compostelle non pour des motifs de foi ou de spiritualité
mais pour profiter des avantages offerts aux vrai.e.s pèlerin.e.s.
Ce néologisme a peut-être été inventé par J. M. SOMAVILLA
dans son livre "Tu echa
un pie adelante y luego el otro - Veinte años en el Camino" (3)
dans lequel il utilise d'ailleurs d'autres néologismes
qualifiant différentes sortes de "pèlerins", néologismes qui
n'ont pas eu le même succès. (4)
Le site Xacopedia explique, lui, que le terme « turigrino »
est fréquemment utilisé par les hospitaliers bénévoles des
auberges pour désigner de manière critique le
pèlerin-touriste qui marche sur le chemin sans
transcendance et sans comprendre ou accepter les concepts de
solidarité , de sobriété et convivialité qui font l’essence
du cheminement pèlerin . Une autre façon de le dire est que
le turigrino marche sur le chemin tandis que le
peregrino entre dans le chemin (5).
Dans un mémoire universitaire, Linda ALARIE décrit
d’expérience , les turigrinos comme des personnes qui
espèrent avant tout le confort et la bonne nourriture et « qui
devant leurs écrans en oublient les personnes assises autour
de la table commune » (6).
Le tourisme pèlerin est en voie de développement et ce à la
grande satisfaction de certains acteurs du chemin : le
turigrino rapporte plus que le peregrino et offre de
nouvelles perspectives économiques. Une agence de voyage de
Galice s’est même approprié le nom de « turigrino » pour
attirer la clientèle à laquelle elle offre 8 jours de
« pèlerinage » clefs sur porte : visites organisées,
transport de bagages, réservation des logements et repas,
voiture balai tout au long de la journée pour répondre aux
besoins : eau, fruits, médicaments et soutien de tous ordres
(7).
L’office de tourisme de la Xunta de Galicia offre d’ailleurs
le même genre de service et vient chercher en taxi le
turigrino à la fin de chaque étape pour le conduire au lieu
d’hébergement et le reconduira le lendemain au lieu de
départ de l’étape suivante (8.
QUE PENSER DE CE PHÉNOMÈNE ?
La réponse de certains sera « À chacun son chemin »
ou encore « Bien souvent, on part randonneur ou touriste
et on arrive pèlerin ».
Ces réponses ne sont pas à rejeter mais à mon sens elles
éludent une réflexion plus large sur ce que ce phénomène
entraîne comme conséquence pour le pèlerinage et pour son
avenir.
Disons d’emblée qu’il est évident que les chemins vers
Compostelle ne sont pas la propriété des pèlerin.e.s, et que
quiconque a le droit de les emprunter quelque soit ses
motivations ou sa façon de les parcourir.
Le touriste est libre de prendre un taxi pour raccourcir son
étape, libre de choisir les
plus belles étapes et de passer les autres, et libre de
choisir les bons restaurants ou les hébergements plus
confortables. Tant que le « turigrino » utilise les
commodités offertes aux touristes quelque soit leur confort
ou leur luxe, il n’y a bien sûr aucun reproche à lui faire.
Il n’en va évidemment pas de même s’il cherche à profiter
des services offerts aux pèlerins, par exemple en arrivant
le premier dans les auberges après avoir emprunté un taxi
pour terminer son étape…
Ceci étant dit, il est cependant de plus en plus évident
que le développement du tourisme pèlerin modifie
progressivement l’environnement du peregrino.
Pour répondre aux attentes et demandes des turigrinos, les
hébergeurs privés sont enclins à modifier les conditions
d’hébergement et de service en augmentant le confort général
et la qualité des services : chambres plus luxueuses et
plus privatives, bar à disposition, repas plus
gastronomique, ambiance plus cosy…
De plus, le tourisme pèlerin contribue pour une part de plus
en plus large à
l’encombrement de certains chemins vers
Compostelle rendant le silence, la solitude, le retour sur
soi recherchés par de nombreux pèlerins et par de nombreuses
pérégrines, de plus en plus difficile à trouver.
La foule modifie aussi profondément l’atmosphère du camino.
Paradoxalement elle rend les contacts et les rencontres plus
difficiles tant entre les marcheurs, qu’elle tend à
anonymiser, que entre les pèlerin.e.s et les populations
locales. Ces dernières, suivant qu’elles vivent du
pèlerinage ou non, voient de plus en plus les passants soit
comme des clients potentiels à attirer, soit comme des
perturbateurs de la tranquillité des lieux…
Déjà en 2010, Suzanne DUBOIS et André LINARD, dans leur
livre « Compostelle. La mort d’un mythe ? » (9),
exprimaient leur déception face aux conséquences de
l’omniprésence de la foule (10).
Oui, le turigrino est en grande partie responsable d’une
modification profonde des relations humaines entre
pèlerin.e.s et autochtones : « Le rapport à l’étranger est
peut-être essentiel dans le pèlerinage : peregrinus était en
latin le voyageur, l’étranger ; le pèlerin fait l’expérience
d’être un voyageur sur la terre, un étranger en chemin et
sur le lieu de son pèlerinage. Par contre le touriste
recherche le dépaysement mais il ne se sent pas étranger sur
son lieu de vacances : l’étranger c’est l’autochtone, qui
est donc prié tout à la fois de garder son étrangeté
(facteur de dépaysement) et de s’adapter aux désirs des
touristes » (11).
QUE CONCLURE ?
Avec le battage publicitaire autour du pèlerinage vers
Compostelle, le tourisme pèlerin ne peut aller qu’en
s’accroissant et ce particulièrement sur les chemins les
plus médiatisés (le Camino Francés et le GR65) dont il va, à
son corps défendant, continuer à dénaturer l'atmosphère pèlerine, menant
progressivement les pèlerin.e.s à abandonner ces tronçons
pour emprunter d’autres itinéraires plus préservés (pour
combien de temps ?) du tourisme et de la marchandisation.
On n’arrête pas le progrès !
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(1) LA PAGINA DEL IDIOMA ESPAÑOL,
Turigrino : ¿un nuevo vacablo ? , En ligne sur le
site de La Pagina del Idioma Español :
https://www.elcastellano.org/
(2) SCHWARTZMAN Steven, Turigrino,,
En ligne sur le site Spanish-English Word Connections :
https://www.elcastellano.org/
(3) SOMAVILLA J.M.,
Tú echa un pie adelante y luego el otro - Veinte años en el
Camino, Ed. Nausicaä, 2010
(4) Cette information m'a été fournie par Pierre LAVALLEE
dans un mail signé Dominique DRUT
(5 XACOPEDIA, Turigrino , En ligne sur le site de Xacopedia :
http://xacopedia.com/
(6) ALARIE Linda, Saint-Jacques-de-Compostelle :
L’expérimentation territoriale d’une quête personnelle,
mémoire présenté comme exigence partielle de la maîtrise
en
sciences sociales du développement territoriaL, mai 2018, p.
152, Université du Québec en Outaouais, En ligne sur le site
Docplayer :
https://docplayer.fr/
(7) TURIGRINO : Site de J.Carlos ALVAREZ :
https://www.turigrino.com/nosotros/
(8) XUNTA DE GALICIA, Bono Jacobus,
En ligne sur le site de L’Office du Tourisme de la Xunta
de Galicia :
https://www.turismo.gal/
(9DUBOIS Suzanne et LINARD André, Compostelle. La mort d’un mythe ?
, Couleur Livre, 2010
(10) Un compte rendu de ce livre peut être lu
sur SWALUS Pierre, Compostelle . La mort d’un mythe
,En ligne sur le site Vers Compostelle de Pierre et
Simonne
Swalus :
https://verscompostelle.be/
(11) Anonyme , « Le touriste et le pèlerins »,
En ligne sur le site I quès és la veritat :
mis en ligne le 30/09/2020, complété le
11/01/2023
pierre.swalus@verscompostelle.be
https://thomasmore.worldpress.com/