L’ÉLÉMENT QUI A DÉCLENCHÉ LA
CROISSANCE DU NOMBRE DE PÈLERIN.E.S SUR LES
CHEMINS VERS COMPOSTELLE
par Pierre Swalus
pierre.swalus@verscompostelle.be
Depuis les années 80-90 du siècle dernier,
le nombre de pèlerin.e.s recensé.e.s à
Compostelle n’a cessé de croitre.
Le renouveau du pèlerinage se manifeste à la
fin du XIXe siècle et au cours du XXe, par
différents événements dont il est difficile
de dire s’ils sont des signes ou des causes
de ce renouveau, très probablement pour
beaucoup d’entre eux, les deux à la fois.
Citons en ordre chronologique, les plus
marquants de ces éléments :
1863 : publication du livre « Histoire
de saint Jacques le Majeur et du
pèlerinage de Compostelle » (1)
de l’abbé Jean-Baptiste PARDIAC
1866 : découverte par Léopold
DELISLE d’un manuscrit mentionnant
le voyage à Compostelle de l’évêque
du Puy, Godescalc en 951 (2)
1879 : redécouverte à Compostelle
des reliques de saint Jacques et de
ses disciples (3)
1882 : publication en latin par le
père FITA du IVème livre du Codex
Calixtinus (2) duquel on déduit
(erronément) qu’il y a en France 4
chemins vers Compostelle
1884 : authentification par le pape
Léon XIII des reliques de saint
Jacques et de ses disciples (3)
1899 : publication du livre « Les
chemins de Compostelle, souvenirs
historiques, anecdotiques et
légendaires » de l’abbé Camille
DAUX (4)
1938 : la réédition et traduction en
français du IVème livre du « Codex
Calixtinus » par Jeanne
VIELLIARD sous le titre de « Guide
du pèlerin » (5)
1950 : fondation de la « Société
française des amis de
Saint-Jacques-de-Compostelle »(6),
première association jacquaire du
monde
1951 : année millénaire du
voyage de Godescalc, l’évêque du
Puy. Mgr Blanchet, recteur de
l'Institut Catholique de Paris
conduit un pèlerinage accompagné par
l’abbé Branthomme , pèlerinage filmé
(2)
1958 : recréation de la « credencial »
à l'initiative de la Société
Française des Amis de Saint-Jacques
de Compostelle avec le Chapitre de
la Cathédrale de Santiago (7)
1950-1970 : développement de la
randonnée pédestre (8)
1962 : fondation de la première
association jacquaire espagnole :
celle de Estella (6), la 2ème en
Europe
1965 :
Elías
VALIÑA
SAMPEDRO,
prêtre au Cebreiro, présente sa
thèse doctorale :"Le Chemin
Santiago. Étude historique-
juridique ", et commence un travail
de mise en valeur du
pèlerinage
1971 : publication du premier guide
en espagnol (très peu connu) du
Camino Francés par Elias VALINA
SAMPEDRO (9)
1972 : publication d’une
cartographie (très diffusée) assez
détaillée du camino Francés par
Eusebio GOICOECHEA et Los Amigos del
Camino de Santiago-Estella (10)
1972 : publication par la FFRP
(Fédération française de randonnée
pédestre) du premier topoguide du « Sentier
de Saint Jacques . Le Puy- Conques,
GR65 » (11)
1973 : publication du premier guide
en français (appelé « le Bernès »)
du Camino Francés par l’abbé BERNÈS
(12)
1978 : suite à leur pèlerinage en
1977, les journalistes BARRET et
GURGAND publient le livre « Priez
pour nous à Compostelle » (13)
1979 : fondation de la 3ème
association jacquaire : la
"Sankt-Jacobusbruderschaft de
Dusseldorf (6)
1980 : Andrès MUÑOZ
et Élias VALIÑA SAMPEDRO
commencent séparément à baliser de
flèches jaunes le camino Francés (17)
1982 : le pape Jean-Paul II vient à
Compostelle et lance un appel à
l’Europe à « retrouver les valeurs
authentiques qui couvrirent de
gloire son histoire » (3)
1983 : fondation de 2 associations
jacquaires : l’Anglaise et celle de
Poitou-Charente (6)
1984 : achèvement du balisage du
camino Francés par
Elias VALIÑA SAMPEDRO (18)
1985 : exposition à Gand « Santiago
de Compostela. 1000 ans de
Pèlerinage » organisée dans le
cadre de Europalia 1985, et
publication du livre-catalogues de
cette exposition (11)
1985 : fondation de la Vlaamse
Genootschap van Compostela (6)
1986-87 : fondation de 4
associations jacquaires : 2
nationales et 2 régionales (6)
1987 : déclaration par le Conseil de
l'Europe des chemins de
Saint-Jacques comme « premier
itinéraire culturel européen »
(3)
1989 : retour du pape Jean-Paul
II
à Compostelle lors des
journées
mondiales de la jeunesse
(3).
1990....:
progressivement c’est l’emballement
médiatique : la création accélérée
de nouvelles associations jacquaires
(de 26 fin des années 80, elles
passent à plusieurs centaines
aujourd’hui) qui promeuvent le
pèlerinage, la multiplication de
relation de pèlerinage, de livres
sur le pèlerinage, d’ émissions et
reportages TV, les films en français
et en anglais qui touchent un public
de plus en plus large et enfin le
marketing, la marchandisation et la
marque « Saint-Jacques »
(organisation de marches, trails,
courses…) et l'entrée sur le marché
de tours opérateurs de plus en plus
nombreux, créent un
engouement
et
un effet de mode
qui accélèrent la croissance…
Confrontons ces événements historiques
avec l’évolution du nombre de pèlerin.e.s
recensés à Compostelle. Rappelons que
ces nombres sont ceux des pèlerin.e.s ayant
reçu la « compostela » c’est-à dire ceux qui
ont accompli au moins les 100 derniers km à
pied ou les 200 derniers à vélo et cela dans
un esprit chrétien ou à tout le moins avec
une motivation spirituelle.
On peut discuter de la pertinence de cette
comptabilité mais c’est la seule fiable ; si
l’on devait comptabiliser les pèlerin.e.s
tel qu’on le fait par exemple à Lourdes où
la grande majorité des pèlerin.e.s viennent
en groupe organisé, souvent en train ou en
car de tourisme, on obtiendrait bien sûr des
chiffres beaucoup plus élevés. Ces « pèlerin.e.s »
sont souvent considérés comme des
« touristes » par les « vrais » pèlerins de
saint Jacques . Ils n’entrent pas dans les
statistiques de l’ « Oficina peregrino ».
L’examen de ce diagramme montre clairement 2
choses : d’abord qu’avant 1986 le nombre de
pèlerin.e.s recensés est trop faible que
pour être distingué à cette échelle, et
ensuite que la croissance du nombre de
pèlerins est exponentielle jusqu’en 2011
pour ensuite se rapprocher d’une croissance
presque linéaire.
Le graphique suivant, à une autre échelle,
permet de voir ce qui se passe avant 1986.
Que nous apprend ce graphique ?
D’abord, que comme dans le graphique
précédent, les années saintes rassemblent
chaque fois un nombre supérieur de
pèlerin.e.s que les années normales
Ensuite, que les années qui suivent
immédiatement les années saintes de 1976 et
de 1982 voient une chute du nombre de
pèlerin.e.s par rapport aux années qui les
précèdent comme si certaines personnes qui
projetaient d’entreprendre le pèlerinage
l’avaient anticipé d’un an pour participer
aux cérémonies particulières des années
saintes.
Aussi, que mis à part les années saintes,
les années qui suivent 1978 présentent des
nombres nettement supérieurs à ceux qui les
précèdent. Si on compare statistiquement la
moyenne de fréquentation des années 1972 à
78 à celle des 3 années 1979 à 81, on
obtient une différence hautement
significative (14).
Ce qui signifie que c’est à partir de 1979,
que le nombre de pèlerin.e.s augmente
significativement et ne cessera plus
d’augmenter jusqu’à nos jours.
Que s’est-il passé qui pourrait
expliquer ce
phénomène ?
Le seul événement nouveau est la parution en
1978 du livre « Priez pour nous à
Compostelle » et les articles et
recensions concernant cet ouvrage. Dès 1979
on trouve déjà une recension dans une revue
d’une université américaine (15)
Discussion et Conclusion.
Comme le livre de BARRET et GURGAND a été
publié en 1978 initialement en français et
traduit seulement quelques années plus tard,
il devrait logiquement avoir eu plus de
retentissement dans les pays francophones
que dans les autres pays. Il aurait été
intéressant, pour vérifier cette hypothèse,
de pouvoir comparer pour ces années
charnières, la répartition des pèlerin.e.s
par nationalité. Malheureusement cette
répartition des pèlerin.e.s. par nationalité
n’a pas été publiée par l’Office de Pèlerins
à Compostelle et n’existe probablement pas.
Ce que l’on sait par contre c’est que dans
les années 80, la France et la Belgique
représentaient une part beaucoup plus grande
qu'actuellement : ainsi en 1987(19) sur
2.905 pèlerin.e.s recencé.e.s, les Espagnols
représentaient 42 % (1.247) et les Français
et les Belges ensemble 34 % (1.000) alors
que en 2018, si les Espagnols comptaient
toujours 44% (144.141) des « compostela »,.les
Français et les Belges ne comptaient plus
que pour 3,3% ( 10.910)..
L'importance qu'a eu le livre de BARRET et
GURGAND pour la renommée du pèlerinage à
Compostelle est montrée par le fait que la
Société française des amis de
Saint-Jacques-de-Compostelle a fait célébré
une messe à Paris en décembre 1988 à
l'occasion du décès des deux auteurs,
survenu en octobre et novembre 1988 à
un mois d'intervalle.(19),
décès annoncé et commenté avec émotion dans
des revues jacquaires. Des pèlerins belges
de la première heure, nous ont aussi
confirmé l'importance qu'avait eu ce livre
dans leur décision d'entreprendre ce
pèlerinage.
D’autre part, il est évident que Barret et
Gurgand ont eux mêmes été informés et
motivés par des évènements antérieurs et que
ces évènements ont donc contribué à leur
pèlerinage et à la croissance du nombre de
pèlerin.e.s qui a suivi.
Concluons
donc en disant que avec un risque
extrêmement faible de se tromper, on peut
affirmer que la croissance du nombre de
pèlerin.e.s vers Compostelle, qui se
poursuit encore actuellement, a débuté
en 1979 et que le livre « Priez
pour nous à Compostelle » semble avoir
été le souffle qui a relancé « le feu qui
couvait sous la cendre » …
(1)
PARDIAC Jean-Baptiste, Histoire de
saint Jacques le Majeur et du pèlerinage de
Compostelle, Bordeaux, L. Coderc et
Cie, 1863, réimpression à l’identique par
Gallica Bibliothèque numérique :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5804395p.texteImage
(2)
PÉRICARD-MÉA Denise et Louis MOLLARET,
Le triomphe de Compostelle, en
ligne In : le site SaintJacquesInfo :
http://lodel.irevues.inist.fr/saintjacquesinfo/index.php?id=113#tocto3n8
(3) WIKIPÉDIA , Pèlerinage de
Saint-Jacques-de-Compostelle, en
ligne sur le site Wikipédia :
https://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A8lerinage_de_Saint-Jacques-de-Compostelle,
consulté le 27/03/2020
(4)
DAUX Camille , Les chemins de
Compostelle souvenirs historiques,
anecdotiques et légendaires, Tours,
A.Marne et Fils, 1909 , ouvrage réédité par
la Fondation David Parou . Saint-Jacques,
Altantica, 2006
(5)
VIELLIARD Jeanne, Le Guide du pèlerin,
Vrin 1938
(6)
SWALUS Pierre, Les premières
associations jacquaires du XXe siècles,
en ligne sur le site Vers Compostelle :
https://verscompostelle.be/premasso.htm
(7)
Société Française des Amis de Saint Jacques
de Compostelle : La credencial
en ligne sur le site de la société :
http://www.compostelle.asso.fr/fr/credencial-adhesion
(8)
Anonyme , Le renouveau du chemin,
en ligne sir le site
https://easycamino.com/home-2/le%20renouveau.html
(9)
VALIÑA SAMPEDRO Elias. Caminos a
Compostela. Faro de Vigo. 1971
(10) GOICOECHEA Eusebio, Cartografia
del Camino de Santiago , Los Amigos
del Camino de Santiago-Estella, 1972
(11) La pastorale du Chemin de Compostelle
, Deux mille ans vers Compostelle,
document PDF en ligne sur le site de
Webcompostella :
http://www.webcompostelle.com
(12) BERNÈS Georges, Le chemin de
St-Jacques en Espagne. Guide du pèlerin,
Miélan, Imprimerie de l’Astarac, 1973
(13) BARRET Jean-Pierre et Jean-Noël GURGAND,
Priez pour nous à Compostelle,
Hachette, 1978
(14) Coll., « Santiago de Compostela.
1000 ans de Pèlerinage Européen,
Crédit Communal, 1985
(15) 72-78= 81,71 ; SD72-78= 72,12 ;
M79-81=246,33 ; SD79-81=
38,31 ; seuil de signification du t : 0,005
(16) BRAULT Gerard J. , Book Revieuws.
Pierre Barret and Jean-Noël Gurgand.
Priez pour nous à Compostelle. La vie
des pèlerins sur les chemins de
Saint-Jacques. Paris: Hachette, 1978. Pp.
348, en ligne Olifant, Vol. 7, n°2 , 1979 ,
pp. 149-151 sur le site de l’Indiana
University :
https://scholarworks.iu.edu/
(17) ROUSSE Gérard, L'histoire de
saint Jacques et des pèlerinages année après
année… en ligne sur le site de
l'auteur :
http://www.guides-cheminsdecompostelle.com/guide-chemin-compostelle_histoire.htm
(18) SWALUS Pierre , Les premiers
guides au XXe siècle pour le Caminio Francés
, en ligne sur le site Vers Compostelle
:
https://verscompostelle.be/premguid.htm
(19) Anonyme, Pelgrims op weg, De Pelgrim, N° 13, 1988, pp.
21-22
(20) Anonyme (probablement RENARD
Jean-Pierre) , In Memoriam, Le
Pecten, N° 10, 1988, p. 8
écrit le 07/04/2020