Article paru
dans la revue de l'Association Belge des Amis de
Saint-Jacques-de-Compostelle, "Le Pecten ", N° 94, 2009,
pp. 5-7
en réponse à l'article de Pierre Genin : Le pèlerin et la souffrance,
dans Le Pecten, n° 93, 2009, pp. 7-9
par Pierre Swalus
« La véritable raison qui me fit cheminer n’a de sens
qu’en elle-même.
Elle s’appelle « le plaisir ».
Pourquoi Marché-je ?
Parce que j’aime ça…
J’y quête – j’y trouve – l’euphorie. La joie. Le bien-être. La volupté
La délectation. La félicité…
Un enchantement. Une harmonie. Comme une musique. Disons : le bonheur…
…Je marche par plaisir et j’en profite pour méditer… »(*)
Si j’ai mis cette citation de Yves Paccalet en exergue
de cet article, c’est parce qu’à la lecture de l’article de Pierre
Genin, paru dans le Pecten de septembre 2009 et consacré à la souffrance
du pèlerin, je me suis dit « Non ! Ce n’est pas cela que je retiens de
mes pèlerinages ; ce n’est pas cela qui me vient à l’esprit lorsque j’y
pense ou que j’en parle ».
Ce qui
me vient à l’esprit c’est ce dont parle Yves Paccalet à propos de la
marche : c’est le plaisir !
Le
plaisir de se réveiller au petit matin sous la tente et d’entendre
tout proche le réveil de la nature et le chant des oiseaux.
L’émerveillement des levers du soleil et le bien-être éprouvé lors des
premiers rayons qui nous réchauffent.
Le
plaisir de trouver au matin un café ouvert et de pouvoir y boire une
bonne jatte.
La joie
de découvrir l’écoulement du temps et des saisons, de voir les
tournesols sortir de terre et grandir au jour le jour, de voir le colza
en fleurs, de voir les blés passer progressivement du vert au doré, puis
de les voir moissonnés et plus tard en Espagne, les blés étant rentrés,
de jouir de l’enchantement de l’immensité de la meseta toute dorée.
Le
plaisir, de voir après la pluie, l’intensité des couleurs et de jouir
des odeurs pénétrantes du chèvrefeuille, de l’églantier, des fraises
sauvages et du tilleul en fleurs.
La joie
de se laisser surprendre par des paysages sans cesse renouvelés, par des
arrivées dans des villages inconnus et que nous avons à explorer et
d’attendre avec curiosité de savoir ce que sera notre lieu d’étape du
soir ; de savoir qu’aujourd’hui est différent de hier et que demain sera
encore un jour nouveau.
Il y a
cette euphorie d’éprouver après quelques jours de rodage que notre corps
fonctionne de mieux en mieux, se laisse complètement oublier et nous
permet d’être totalement disponible au moment présent et de jouir de
chaque instant de liberté.
Il y a
le plaisir, lorsque nous marchons dans la pluie de découvrir cet abribus
ou cette étable ouverte ou nous pourrons pique-niquer au sec et fermer
nos parapluies.
Le
bonheur de découvrir des gens accueillants et attentionnés , tel cette
dame qui nous voyant déçu de ne pas trouver un café dans le village,
nous fait rentrer chez elle pour en boire un ; ou cet autre, femme du
maire, à qui nous avions demandé si nous pouvions camper sur le terrain
de football du village, et qui nous apporte peu après table et chaise de
camping, bouteille de cidre et victuailles diverses ou encore cette
tenancière d’un petit camping qui sachant que le petit magasin du
village est fermé ce jour là, va chercher chez elle et nous apporte
œufs, salade, sauces diverses et pain.
En
France les rencontres brèves et fortuites nous apportent souvent
beaucoup de plaisir : ce sont ces gens qui nous abordent et nous
souhaitent bonne route ; qui nous félicitent de louer la pluie qui vient
enfin arroser la terre, alors qu’elle nous empêche de marcher en toute
quiétude ; qui de l’intérieur nous voient passer et frappent sur le
carreau pour nous saluer ; qui nous saluent chaleureusement parce qu’ils
nous ont déjà repérés une ou deux fois avant sur la route et nous
retrouvent comme des amis ; qui nous ont reconnus en tant que pèlerins
et nous confient leurs intentions; qui nous donnent les bonnes adresses
des étapes à venir…
En
Espagne, aussi il y a le plaisir de ces « buen camino » lancés par les
villageois que nous saluons, de ces gens qui spontanément nous indiquent
le chemin ou qui nous accompagnent pour être sûr que nous ne nous
tromperons pas en rejoignant l’auberge ou le magasin, mais il y a
surtout le bonheur de toutes ces rencontres et échanges avec d’autres
pèlerins, rencontres parfois brèves mais qui, lorsqu’elles se répètent
au fil des étapes, parfois s’approfondissent et apportent plein de
richesses et de découvertes de la diversité des personnes et des
motivations.
Il y a
la joie de ces retrouvailles avec certains pèlerins qui ont fait
d’autres étapes que nous pendant quelques jours et que nous revoyons
avec tant de plaisir.
Mais
alors la souffrance ? Où est-elle ? A-t-elle été présente pour moi sur
ces chemins.
Très
spontanément, je réponds non , elle n’a pas été présente. Mais il est vrai
que l’on a tendance à oublier les mauvais souvenirs et à ne retenir que
les bons, les choses s’embellissent avec le temps…
Alors
pour plus d’objectivité, j’ai recherché (sur l’ordinateur) dans nos 7
journaux écrits au jour le jour lors de nos cheminements vers
Compostelle, la présence de certains mots clefs : « souffrance »,
« souffre » ; « pénible » et « épreuve » venant de l’article cité plus
haut de Pierre Genin et d’autres « joie », « plaisir », « bonheur »
venant de la citation de Yves Paccalet.
« Souffrance » et « épreuve » sont totalement absents.
« Pénible » est trouvé 7 fois et « souffre » une fois : dans des phrases
comme « la fin de l’étape trop longue aujourd’hui est un peu pénible »
ou « le plus pénible est de sortir de son duvet le matin lorsque l’on
entend la pluie tomber » et « mes gros orteils souffrent dans les fortes
descentes ».
Par
contre, le mot « joie » est présent 31 fois, « plaisir » 32 fois et
« bonheur » 15 fois.
La
souffrance, la pénibilité ont donc été très peu présents sur nos
chemins. Le plaisir, la joie, le bonheur l’emportent allègrement non
seulement dans nos souvenirs mais aussi dans ce que nous avons ressenti
au jour le jour.
Pourquoi
notre perception est-elle si différente de celle décrite par Pierre
Genin ?
Disons
d’abord que la souffrance est une sensation éminemment subjective.
Qu’une même sensation n’est pas vécue et interprétée de la même façon
par tous.
Peut-être aussi avons-nous, Simonne et moi beaucoup de chance d’avoir de
bons pieds qui ne font pas d’ampoules, des articulations et des tendons
qui supportent les efforts et les chocs répétés et aussi de marcher à
deux en étant présent l’un à l’autre..
Le fait
d’avoir fait beaucoup de grandes randonnées souvent plus dures
physiquement que les caminos nous a très certainement aidés.
Il se
peut aussi que notre appréhension de la souffrance soit très différente
de celle de Pierre Genin. Elle a probablement pour Pierre, chrétien
convaincu, un sens de rédemption, de pénitence signifiante ce qu’elle
n’a évidemment pas pour nous agnostiques.
Sans
doute l’aspect joie, plaisir, bonheur est-il aussi présent chez Pierre
Genin...
Comme la
devise de notre association le dit si bien : « A chacun son chemin » !
(*) Paccalet Yves, Le Bonheur en
Marchant, J.C.Lattès, 2000, pp. 208 et 209