QUAND ON PARLE "DU SAINT-JACQUES"...
QUE VEULENT DIRE LES MOTS ?
EST-CE AUSSI INNOCENT QU'IL N'Y PARAIT ?
par
Pierre Swalus
pierre.swalus@erscompostelle.be
Précédemment
dans d’autres articles, il a déjà
été question de la création au Puy-en-Velay d’une
« Fédération Européenne »[1].
Le
nom complet de cette Fédération mérite d’être
analysé et le choix des mots n’est pas anodin.
Cette
fédération Européenne n’est pas comme on pourrait le
penser de prime abord, une Fédération d’Associations
jacquaires de différents pays mais une « Fédération
des Chemins de Saint-Jacques-de Compostelle ».
Les
chemins n’ayant jusqu’à présent pas de personnalité
juridique, il s’avère difficile de les fédérer. Mais
peut-être s’agit-il de fédérer des Associations
jacquaires qui auraient dans leurs objectifs, le
développement de l’infrastructure et de l’accueil
des pèlerins sur un chemin particulier, comme
par exemple : l’ « Association pour la
promotion de la via turonensis, voie de Tours vers
Saint-Jacques-de-Compostelle » et comme
bien d’autres encore[2] ?
Non
il ne s’agit pas de cela.
Quelles
sont donc les entités fédérées ? Pour la
France, c’est l’Agglomération du Puy-en-Velay
représentée par son office du tourisme ; pour
l’Espagne, c’est la Junte de Galice, elle aussi par
son office de tourisme ; pour la Belgique,
c’est le Fédération du tourisme de la province de
Namur ; il en va de même pour l’Italie avec
Assise et pour le Portugal avec Vila Pouca de Aguiar[3].
Il
s’agit donc dans cette Fédération de rassembler non
des entités de pèlerins, mais des Offices de
tourisme de localités se trouvant sur UN
CHEMIN de chaque pays.
Bien
sûr des objectifs de développement culturels sont
présentés, mais à côté d’eux on trouve des
motivations plus terre à terre.
Voici
un rappel de ce que disait le maire du Puy-en-Velay
lors de la création de cette fédération :
« Cette signature est importante pour
préserver la place préférentielle que possède
notre agglomération comme ville de départ
historique. D'autres villes moins légitimes
historiquement[4]
essaient de gommer l'Histoire par des budgets
communication importants. L'agglomération du
Puy-en-Velay doit conserver sa spécificité. »[5].
Et le
représentant belge à cette Fédération écrit
qu’elle « représente la Belgique afin de
renforcer cet Itinéraire Culturel et identifier
Namur comme ville jacquaire » et
que "Cette organisation a pour objectif de
générer une dynamique sur son territoire …/…
et un nouveau « produit jacquaire » en
province de Namur »[6].
Dans
ces deux exemples, il s’agit donc de
s’approprier, d’une façon ou de l’autre, le
chemin et d’en faire un produit.
Ceci
est encore plus manifeste quand on remarque une
dérive dans l’appellation de la Fédération
européenne. En effet au bas de la page
présentant cette fédération[7], on trouve une autre
appellation : « Fédération européenne du
Saint-Jacques de Compostelle ».
Que
veut signifier ce « du Saint-Jacques ».
Cette locution n’est pas unique. On la retrouve
aussi dans « le grand trail du
St-Jacques »[8] organisé par le
Puy-en-Velay et aussi plus près de chez nous
par Namur, qui rappelons le, représente la Belgique
dans la Fédération européenne et qui elle aussi a
organisé « Le trail du
Saint-Jacques de Compostelle »[9]
Si un
pèlerin utilise l’expression « le saint
Jacques » c’est essentiellement pour
marquer le fait qu’il parle « du saint
Jacques » qui le concerne
directement, celui qui est honoré à Compostelle et
non de saint Jacques le mineur ou de l’auteur de
l’épitre. Il veut signifier qu’il parle de celui
vers lequel il va marcher, ou celui vers lequel il a
déjà marché ou encore vers lequel il marche
aujourd’hui.
Lorsque
les organismes touristiques fédérés au sein de la
Fédération européenne parlent elles « du
Saint-Jacques » c’est comme
synonyme de « du chemin
de Saint-Jacques ». Mais pas
n’importe quel chemin vers Compostelle. Non,
pas n’importe lequel, mais bien celui qui
passe par Le Puy ou par Namur. Ils cherchent à
associer leur ville, dans l’esprit de ceux qui
les lisent, au chemin (au vrai chemin).
Contrairement
aux associations pèlerines et aux pèlerins,
qui lorsqu’ils parlent du chemin,
parlent soit du chemin emprunté par le
pèlerin, que celui-ci soit un chemin
« officiel » ou non, soit encore du
cheminement tant physique que spirituel du pèlerin
lui-même. Notre association (Association belge des
amis de Saint-Jacques-de-Compostelle) ne dit-elle
pas « A chacun son chemin » ?
Signifiant par-là, qu’il peut y avoir autant de
chemins et de cheminements qu’il y a de
pèlerins.
Les
représentants nationaux de la Fédération européenne
donnent elles plutôt l’impression de vouloir
s’approprier le chemin, de vouloir faire
« du Saint-Jacques »
le seul et vrai chemin.
Il est
d’ailleurs très significatif de constater que sur le
site de le Fédération européenne (qui se confond
avec celui du Puy-en-Velay), la page qui est
consacrée aux chemins vers Compostelle en Europe
présente une carte intitulée « Projet de
géolocalisation des chemins de St Jacques »[10]
sur laquelle ne sont représentés que les chemins
passant par Le Puy-en-Velay, Namur, Assise pour
l’Italie et Viseu pour le Portugal. Les autres
chemins ne sont pas représentés !
La
Fédération européenne et les villes associées
représentant les différents pays concernés,
s’approprient donc effectivement LE CHEMIN pour
en faire un « produit » de
développement touristique local.
Armand
Jacquemin[11]
avait bien raison lorsqu’il craignait déjà en 1992[12]
que le chemin puisse devenir « une route
touristique exploitée par les Tours opérateur »
et aussi « qu’une exploitation trop mercantile
du chemin et des lieux historiques ne masque cette
âme qui lui vient des millions de pèlerins qui le
suivirent au cours du dernier
millénaire » !
Si
l’on ne peut empêcher les offices de tourisme (ni
même leur reprocher) d’exploiter au mieux leur
environnement culturel pour attirer les touristes,
on peut, malgré tout, regretter (et même s’indigner)
qu’ils le fassent en cherchant à s’approprier
des éléments culturels qui ne leurs
appartiennent pas.
Le
moins que nous puissions faire c'est de ne pas
cautionner ce genre d'appropriation.
[4]
Note de l’auteur : « …ville de
départ historique, d’autres villes moins
légitimes historiquement » ces deux
affirmations sont fausses car aucun
documents historique ne parle du Puy comme point
de départ et que les voies de Tours et d’Arles
ont plus de légitimité historique que n’en a le
Puy-en-Velay. Voir à ce sujet Pierre Swalus. Les
chemins « historiques » vers
Compostelle en France. En ligne sur le site de
Vers Compostelle :
https://verscompostelle.be/
[5]
L’Éveil. Le Journal quotidien de la
Haute-Loire, 1/01/2011
[7]
Ibidem La fédération européenne… consulté le
6/10/2016
[11]
Premier président de l’Association Belge des
amis de Saint-Jacques-de-Compostelle
[12]
Jacquemin Armand, Compte rendu de la 6ème
assemblée générale, Le Pecten, 1992 n° 24,
pp. 5-6 et Chemin de pèlerinage et
exploitation touristique, repris
dans le Pecten anniversaire, 2016, n°121.
première page de l’encarté central.
mis en ligne le
07/10/2016