EST-CE LA VOIE DE TOURS ? OU CELLE D’ORLÉANS ? OU
CELLE DE PARIS ? OU CELLE DE BRUGES ? OU ENCORE
... ?
par
Pierre SWALUS
pierre.swalus@verscompostelle.be
Cette question peut sembler impertinente car parmi
les grandes voies actuelles traversant la France
pour se rendre à Compostelle à Compostelle, la voie
de TOURS est fréquemment citée.
Pourquoi parle-t-on de "la VOIE DE TOURS" , Très
probablement parce que Tours est citée dans le
premier chapitre du quatrième livre du Codex
Calixtinus qui parle (pour le France) des quatre
chemins qui vont à Compostelle.
Mais…
le Codex ne parle pas de la « voie de Tours »
ou ne dit pas qu’un chemin part de Tours mais plus
exactement que « - le quatrième, (passe)
par Saint-Martin de Tours, Saint-Hilaire de
Poitiers, Saint-Jean d'Angély, Saint-Eutrope de
Saintes et Bordeaux. »(1). Ce qui signifie
clairement que le chemin vient de plus loin. Et
d’ailleurs le Codex dans le chapitre VIII du même
livre nous donne une indication plus précise d’où il
pourrait venir. Ce chapitre, consacré aux « Reliques
des Saints à révérer en cours de route lors du
pèlerinage de Saint-Jacques », cite « saint
Euverte à ORLÉANS et saint Martin à TOURS »(2)
Parler de « la voie d’ORLÉANS-TOURS » n’est donc pas
si impertinent.
Ce l’est d’autant moins qu’un guide intitulé « Guide
du chemin qu’il faut prendre pour aller de la ville
d’Orléans au voyage de Saint-Jacques-le-Grand en
Compostelle, ville du royaume de Gallice aux
Espagnes » a été édité en 1595 sous l’impulsion
de la confrérie Saint-Jacques d’Orléans (3)
Allons voir plus loin. En effet plusieurs guides
partant de Paris furent publiés. Citons, sans être
exhaustif, : en 1535 , «
Le chemin de Paris a Sainct Jaques en galice dit Compostelle: et combien
il y a de lieues de ville en ville » chemin
passant par Orléans(4) aussi celui publié à Paris en
1583 chez Nicolas BONFONS : le "Nouveau guide
des chemins »(5) et encore celui publié par
Thomas d’ARÉ à Rouen en 1600 dans lequel on trouve
le chapitre : « Le chemin de Monseigneur Saint
Jaques en Galice en la ville de Compostelle et
combien il y a de lieues de ville à ville à partir
de la Ville de Paris » (6)
Le départ de Paris est encore affirmé par une des
versions de « la Grande chanson des pèlerins »
appelée par Camille DAUX : « la chanson dite des
Parisiens »,(7) dont voici le troisième
couplet :
« Nous nous mîmes à cheminer
Droit à Paris pour nous rendre
C’est pour Saintonge passe
Prions Jésus qu’il nous défende<
Des ennemis par sa puissance
Ceux qui voudroient par hérésie
Empêcher nos bons désirs
Parler de la « voie de PARIS-TOURS » peut donc être
pertinent.
Mais
il apparait clairement que le chemin venait de plus
loin que de Paris. La chanson des pèlerins dite « des
rossignols » ou de « Valenciennes » dit
dans une de ses strophes :(8)
« A la seconde journée,
Sur la fresche matinée,
Nous arrivasmes à Paris,
C’estoit feste commandée,
Ce pourquoi messe j’ouis »
Nous
pouvons continuer à remonter le chemin et ce jusqu’à
Bruges. En effet le Codex "Itinerarium de Brugis"(9)(Itinéraire
Brugeois) daté de 1380 , qui décrit en détails des
itinéraires au travers de toute l'Europe
continentale, itinéraires principalement destinés
aux pèlerins de toute destination, propose aussi
deux itinéraires entre Bruges et Compostelle. L’un
des deux passe par Paris (en décrivant 5 variantes),
rejoint Tours par deux itinéraires différents puis
suit la « voie de Tours ».
(9)
Nous
pourrions aussi remonter jusqu’à Bruxelles : dans « Le
Grand cantique du grand voyage des pélerins de
Saint-Jacques (en Galice en Espagne.) »(10) on
trouve la strophe :
« Quand nous partîmes de Bruxelles,
Et à tous nos parents;
Au cœur avions si grand désir
D’aller à Saint-Jacque
Nous avions quitté tous nos plaisirs
Pour faire ce voyage. »
Et
nous pouvons encore remonter plus loin car
en 1495
Herman KÜNIG von VACH publie un guide "Die
walfahrt vnd Strass zu sant Jacob" dans lequel
il décrit un itinéraire aller et un itinéraire
retour ; ce dernier la "Niederstrasse » suit la voie
de Tours, puis se dirige vers Orléans, Paris,
Valenciennes, Bruxelles et se termine à
Aix-la-Chapelle(11) Ce guide a eu une large
diffusion et a connu cinq éditions successives.
Selon Bernard DELHOMME, il aurait existé une
traduction en bas-allemand du même guide.
Probablement sous le titre "D'overen là meddelen
straten van Brunswygk tho Sunte Jakob in Gallicien"
publié en 1518 (très connu et très consulté par les
pèlerins flamands")(12)
Tous
ces guides et toutes ces chansons montrent
clairement que Tours n’était qu’une étape, certe
importante, mais une étape parmi beaucoup d’autres
sur les chemins vers Compostelle. Cette constatation
peut encore être appuyée par le fait que, à ma
connaissance, aucun guide ancien ou aucune chanson
ne prenne Tours comme point de départ du pèlerinage.
Parler de « la voie de Tours » sous le
prétexte que le Codex Calixtinus serait le plus
ancien document connu parlant de Tours, serait
oublier le fait que ce document est resté
pratiquement inconnu jusqu’à ce que le père FITA en publie
le 4ème livre en latin en 1882 (13)
et surtout depuis sa traduction en français
par Jeanne VIEILLARD en 1938 (14)
La
seule justification de cette appellation « voie de
Tours » est la force de l’usage qui en est fait
depuis le milieu du siècle passé.
Mais
Tours a d’autres lettres de noblesse et peut
s’enorgueillir d’avoir été, grâce à saint Martin, le
lieu de pèlerinage le plus important de l’Europe
après Rome et ce plusieurs siècles avant
Compostelle. Les pèlerins y venaient de toute
l’Europe et les pèlerins venant de la péninsule
ibérique empruntaient, pour ce faire, la « voie de
Tours » en sens inverse !
Ceci
pourrait finalement, peut-être, justifier cette
appellation « VOIE DE TOURS » !
______________________________________________________
(1) GICQUEL
Bernard, La légende de Compostelle. Le
livre de saint Jacques, Paris,
Tallander, 2003, p. 597
(3) MOLLARET
Louis , Le triomphe de Compostelle,
janvier 2007, n° 46 document PDF en ligne
sur
www.saint-jacques-compostelle.info/
(4)
IÑARREA LAS HERAS Ignacio,
Le chemin de
Paris a Sainct Jaques en galice dit
Compostelle: et combien il y a de lieues de
ville en ville, (à la
Bibliothèque Colombine, à Séville),
itinéraire passant par Chartres et Orléans,
Cit. in :. Étude des itinéraires
français du pèlerinage de Compostelle des
xvie, xviie et xviiie siècle, p. 3,
En ligne : https://studifrancesi.revues.org/
(5) CAUCCI
von SAUCKEN Paolo G, La littérature de
voyage et de pèlerinage à Compostelle,
In : Coll., Santiago de Compostela.
1000 ans de pèlerinage Européen,
Crédit Communal, Gand, 1985, p. 177
(6) BONNEROT Jean,
La guide des
chemins de France de 1553 d’Etienne
CHARLES, Paris, 1936, En ligne sur
https://books.google.be/
(7) DAUX
Camille, Les chansons des pèlerins de
Saint-Jacques. (Paroles et musique) avec
introduction, notes critico-historiques,
Montauban, 1898, pp. 37-37, [Reproduction
numérique au format pdf de l’intégralité de
l’ouvrage sur Gallica]
(9) Itinéraire Brugeois composé vers 1380
publié d'après la copie du manuscrit de la
bibliothèque de Gand, Bruxelles, J.H.Lehou,
1858, pp. 27-29 [Reproduction numérique au
format pdf de l’intégralité de l’ouvrage sur
Gallica], pp. 28-29
(10) ANONYME,
Le
Grand cantique du grand voyage des pélerins
de Saint-Jacques (en Galice en Espagne.).
Mézières: Lelaurin-Martinet. Cit In : Revista de FilologiaRomanica 2006,
vol. 23, 29-54. IÑARREA LAS HERAS. Canciones de peregrinos franceses del Camion
de Santiago temática y fonctionalidad.
En ligne :
https://www.google.fr/u
(11) DELHOMME
Bernard, Itinéraire de Künig von Vach
: 4. traduction personnelle du récit publié
en 1495, écrit originellement en allemand
gothique et en vers.,
en ligne :
http://www.xacobeo.fr/
(13) FITA,
F., VINSON, J., Le Codex de
Saint-Jacques-de-Compostelle : Liber de
miraculis S. Jacobi, Livre IV , Paris, Maisonneuve, 1882. [Reproduction
numérique au format pdf de l’intégralité de
l’ouvrage sur Gallica]
(14)
VIEILLARD, Jeanne, Le guide du
pèlerin de Saint-Jacques-de-Compostelle,
Paris, Vrin, 1938
mis en ligne
le 13/08/2016