RÉCIT D'UNE VRAIE FAUSSE PÈLERINE par Madeleine GRISELIN |
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De Bonboillon à Compostelle en année Sainte
par Madeleine GRISELIN
1999 était une année Sainte à
Saint-Jacques de Compostelle car la fête de saint Jacques (25
juillet) tombait un dimanche.
C'est ce jour-là que nous sommes parties, Manola,
Marcelle (notre petite chienne) et moi de Bonboillon, petit village de
Haute-Saône.
Athées,
nous n'étions pas guidées par la Foi, mais plutôt par un désir,
indicible, de mettre nos pas dans ceux d'autres pèlerins, marcheurs
de l'Histoire, partis depuis des siècles vers le tombeau de Jacques
le Majeur (sur les pèlerins médiévaux,
voir ici).
Nous ne partions pas comme de simples randonneuses... ce chemin-là
n'est pas comme les autres, même si du Puy-en-Velay à Saint-Jacques
il porte le label GR (chemin de Grande Randonnée). Ce ne fut pas un
chemin de conversion, malgré toutes les églises que nous avons
visitées (le patrimoine roman du chemin était ma motivation depuis
trente ans), nous avons peu rencontré la religion en route. Mais une
chose est sûre, et tous les pèlerins vous le diront, ce chemin
transpire la paix, la sérénité et l'amour du prochain...
Chemin
d'humilité et de renoncement, puisque le poids étant l'ennemi du
marcheur sur ces deux mille kilomètres, on apprend chaque jour à
vider son sac, à se débarrasser du superflu. C'est alors le
dénuement pour chacun et donc l'égalité totale entre humains. Nous
cheminons en uniforme : short, grosses chaussures et sac à dos, sans
masque, sans artifice, soumis aux mêmes aléas climatiques,
affrontant les mêmes montées, souffrant dans nos corps, qu'ils
soient jeunes ou déjà un peu usés. Notre richesse c'est nos deux
paires de chaussettes : si elles sont propres, nous sommes riches,
si elles sont sales nous sommes pauvres. Dans ce dénuement total, où
chaque pas est une récompense par le spectacle de la nature, nous
sommes égaux, pèlerins d'abord, frères donc.
Chrétiens
ou pas, les pèlerins de Compostelle sont unis par leur destination
commune. Ce n'est qu'après plusieurs rencontres que l'on découvre
que celui-ci est Rmiste est qu'il chemine aux côtés d'un des patrons
de la plus grosse société d'informatique de France… rien ne dit leur
passé, rien ne dit leurs croyances, personne ne vous demande jamais
pourquoi vous êtes là… Vous êtes là, alors vous êtes de la famille.
Nous avions senti, avant le départ, dans certaines associations
jacquaires une sorte de malaise face aux incroyants, on y entendait
parler de "vrais pèlerins" et de "faux pèlerins". Jamais sur le
chemin, nous n'avons ressenti cette distinction, cette mise au ban.
Du reste, nous avions un jour parlé avec deux jeunes, catholiques
très pratiquants, qui bavaient d'envie devant notre projet de voyage
; quand nous leur avions demandé ce qui les faisaient rêver, leur
réponse était tellement identique à la nôtre. Il n'était pas
question pour eux d'adoration de reliques, ni de comptabilité de
points pour le paradis : ils employaient les mêmes termes que nous
pour dire leur envie de réaliser une route hors du temps,
d'accomplir un chemin de paix, de rencontre, d'humilité, un chemin
intérieur tout en se fondant dans la nature. Chacune de leurs
paroles auraient pu être dite par nous.
Un soir
nous prit l'envie de les voir et donc nous avons fait halte dans un
accueil chrétien ... pour n'y rencontrer que nous-mêmes, faute
d'autres passants, mais quel moment agréable sous le toit du curé de
Lectoure qui nous fit visiter sa cathédrale, de nuit, notre chienne
installée dans le sac à dos ... Autre moment particulièrement fort
pour les athées que nous sommes : la rencontre avec le curé de
Navarrenx. Nous avions entendu parler de ce prêtre qui consacre une
partie de sa vie à l'accueil des pèlerins. Nous ne faisions pas
étape dans ce village, mais nous avons voulu le rencontrer lors d'un
petit déjeuner. A regarder ce saint homme, on se sent baigner de
paix et de sérénité. "Témoignez" nous disait-il quand nous parlions
de notre vision du chemin. Ce prêtre tamponnant votre crédential
écrit "Merci de ce que vous m'avez apporté en vous arrêtant chez
moi" ...
Ces
moments nous ont fait oublier les rencontres
négatives avec la religion : la grosse usine inhumaine du monastère
de Roncevaux, le dédain de certains religieux à l'amour du prochain
plus qu'embryonnaire...
Avec le
recul, j'ai compris que si par le passé les pèlerins de l'histoire
cherchaient à gagner leur paradis en allant en Saint-Jacques, dans
les temps présents, ce paradis, croyants ou pas le gagnent
instantanément car, dans nos vies de stress, de pollution, de chacun
pour soi, de fric, d'égoïsme, de matérialisme et de pouvoir, comment
ne pas se sentir au paradis quand on a volontairement rompu avec son
téléphone, sa télé, ses messageries électronique, sa voiture, le
bruit, le stress, les soucis professionnels.
Chaque
jour en chemin, je disais à Manola : "On est privilégiées d'être
là"… je crois que je ne l'ai pas assez dit.
Madeleine
Griselin
récit d'une vraie fausse pèlerine (1)
Totalement incroyantes, nous nous demandions, en route, quels
étaient les chrétiens parmi nos compagnons de chemin.
Au quotidien, cette fois, il se passe des choses extraordinaires sur
ce chemin de solidarité : on voit s'ouvrir de jour en jour les plus
fermés, on voit se détacher les plus matérialistes, et s'épanouir
les plus pessimistes. On ne chemine pas en groupe, le plus souvent
les pèlerins sont solitaires : même lorsqu'on part à deux on marche
seul avec ses pensées. On se retrouve à la pause, ou le soir au
gîte. C'est là que s'opère la magie des rencontres. Tous n'allant
pas à la même vitesse, au fil des jours on se perd, on se retrouve…
"Radio Pèlerin" vous donne les nouvelles de ceux qui sont devant ou
derrière.
Arrivé à Saint-Jacques, croyant ou pas, on se retrouve tout bête sur
le parvis de la cathédrale : c'est fini, on perd brutalement ses
repères et on a perdu ses compagnons de route. Il ne se passe rien à
Saint-Jacques, on n'attend rien, ce que l'on cherche c'est en chemin
qu'on le trouve, pas au bout du chemin. J'atteste tout de même que
même sans motivation religieuse, la messe des pèlerins donnée chaque
jour dans la cathédrale est un moment d'émotion très forte. J'ai
plus vibré d'ailleurs l'année suivante revenant en voiture à
Santiago et assistant en "touriste" à cette messe un peu spectacle,
il faut le dire. Il y avait beaucoup moins de monde que l'année
précédente et j'ai pu voir dans le carré réservé aux pèlerins
piétons l'échange du baiser de paix entre les compagnons de marche :
on sentait l'émotion, la vérité, l'échange réel et profond ...
14 août 2001