QUAND LES PÈLERINS PRÉFÈRENT UN ROMAN [LE VESTIBULE DES CAUSES PERDUES] AU RÉCIT D’UN PÈLERIN [IMMORTELLE RANDONNÉE] |
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QUAND LES PÈLERINS PRÉFÈRENT UN ROMAN [LE
VESTIBULE DES CAUSES PERDUES(1)] AU RÉCIT D’UN
PÈLERIN
[IMMORTELLE RANDONNÉE(2)]
par Pierre SWALUS
Un post, publié sur une page de Face Book consacrée
au chemin de Compostelle, dans lequel l’auteure
exprimait son projet de lire le livre de
Jean-Christophe RUFIN a suscité de très
nombreux commentaires.
Parmi ceux-ci, peu nombreux étaient ceux qui
disaient avoir aimé le livre car « bien écrit »
et « plein d’humour » ; la grande majorité des
réactions étaient par contre très négatives :
«honteux», « imbuvable », méprisant », « ne
reflétant pas du tout la vérité du chemin » ;
« fable parfois grotesque » ; « écrit par un bobo
pour des bobos », certaines réactions mettant même
en doute le fait que l’auteur ait réellement suivi
tout le chemin à pied.
A
de multiples reprises dans les commentaires, la
lecture du livre de Manon MOREAU était vivement
conseillée : « plus vrai, plus sensible », « plein
d’humanité », « une perle ». Le livre d’Alix de
SAINT-ANDRÉ(3) était aussi mentionné comme donnant
envie de se mettre en chemin.
Si j’avais lu le dernier livre cité, il n’en allait
pas de même des deux autres. Je connaissais
l’existence du livre de RUFIN mais n’avais jamais
entendu parler de celui de MOREAU. Mais comme le dit
de manière très juste un commentaire sur Face Book,
si elle avait été académicienne, son livre aurait eu
un autre retentissement !
Ma curiosité était d’autant plus stimulée que le
livre tant vanté de MOREAU est un roman alors
que celui de RUFIN est, en principe, le récit
d’une expérience vécue.
J’ai donc lu les deux livres en commençant par le
roman « Le vestibule des causes perdues ».
LE VESTIBULE DES CAUSES PERDUES
J’ai beaucoup aimé.
L’auteur aime les personnes qu’elle suit tout au
long du chemin de Compostelle. Elle les regarde avec
tendresse, avec leurs manques, leurs attentes, leurs
blessures. Et comme le dit si bien GWEN21(4) dans sa
critique du livre :
« ce livre est un concentré de vie et de
renaissance, d'espoir et de vérité, ce livre est un
chant enthousiaste qui vous portera à croire que
chaque rencontre est précieuse, que chaque être qui
croise votre route est un cadeau à déballer
soigneusement, les yeux brillants d'excitation, et
dont il faut savoir profiter, ce livre vous donnera
envie de sourire, de rire, d'aimer et de vivre, ce
livre vous racontera le Chemin, celui de Compostelle
mais aussi et avant tout celui de nos vies, humbles,
inconnues, discrètes et parfois bancales ; il vous
racontera tous ces chemins différents qui ont
pourtant la même valeur ; une valeur à découvrir,
une valeur dont il faut chercher le sens, une valeur
à enrichir pour mieux la partager. « (4) IMMORTELLE
RANDONNÉE
Je n’ai pas du tout aimé.
RUFIN n’aime pas les gens ou même… il les méprise.
Le pèlerin est pingre.
Les citations textuelles sont suffisamment parlantes
pour ne pas devoir être largement commentées.
« Les
pèlerins passent leur temps à éviter de payer …/…
c’est un sport, un signe d’appartenance au club …/…
n’est pas toujours pauvre mais se comporte comme
s’il l’était…/… on peut appeler cela plus simplement
de la ladrerie…/… Le vrai (pèlerin) se reconnait à
ce qu’il dépense le moins possible…/… il peut
arriver au « vrai » pèlerin de devoir descendre dans
un hôtel, il va marquer sa différence, par exemple
en mangeant tous les bonbons imprudemment placés
dans une soucoupe, à la réception. »
(2, pp.11-12)
L’auteur y revient lorsque dans un bel hôtel tenu
par une femme qui aimait les pèlerins, certains,
tandis qu’elle s’enquérait de leur sommeil et de
leur repos,
« Obéissant à leurs instincts les plus
irrépressibles…/… fauchaient tout le pain disposé
sur la table pour constituer des réserves dans leur
sac à dos. » (2, p.198)
Le pèlerin est sale,
« La clochardisation du marcheur se fait très
vite…/… Sans devenir tout à fait une bête, on n’est
déjà plus complètement un homme. Ce pourrait être la
définition du pèlerin. …/… Les
gens semblent ne pas remarquer le cafard déjà
bien sale, mal rasé… » (2, pp47-50).
« Des collections de chaussures de marche,
soigneusement alignés dans des casiers indiquaient
que l’on était au royaume des pieds qui puent. »(2,
p.125)
« Il était difficile de démêler ce qui sentait le
plus mauvais, des pieds du vélocipèdes ou de
l’onguent marron dont il les enduisait. » (2,
p.127)
L’auteur tout en reconnaissant
« que la saleté du marcheur n’est pas
inéluctable… »
et qu’il fait souvent une lessive, ne peut
s’empêcher de directement revenir sur sa critique :
« …chacun se fait de l’hygiène une idée bien à
lui et qui est rarement complète…./… Le tee-shirt
est assez universellement l’objet de soins
quotidiens…/… Viennent ensuite les chaussettes. Les
autres vêtements se font plus rares…/… et on en
déduit facilement ce qui est porté chaque jour sans
être lavé. » (2, p.139)
J.C. RUFIN semble jouir de sa propre saleté :
« J’ai déjà souligné avec quelle rapidité je
m’étais transformé en clochard céleste…/… Barbe en
broussaille, pantalon taché, chemise imprégnée de
sueurs recuites, j’étais bien calé dans ma crasse,
éprouvant la jouissance d’être protégé par elle
comme par une armure…/… sans doute est-on assuré
de marcher environné par sa propre odeur, à laquelle
semble se réduire toutes les richesses dont on
dispose encore . » (2, p.140)
Le pèlerin est insignifiant, est un déchet
« On ne voit pas le pèlerin. Il ne compte pas ;
Sa présence est éphémère, négligeable. …/… Mais
comme ces déchets que nul ne se donne la peine
d’enlever, car on sait que la mer les emportera, le
pèlerin, pour déplacé qu’il soit dans le paysage,
n’inquiète pas les habitants du lieu. » (2,
pp.50-51)
« En Cantabrie, le marcheur prend conscience pour
la première fois qu’il est lui-même un déchet…/… il
fallait … devenir cette chose méprisée qui se fraie
un chemin au milieu des immondices » (2, p.106).
Le sexe et la drague sont omniprésents
« Le chemin est un lieu de rencontre, pour ne pas
dire de drague »
(2, p.30).
Pour RUFIN les pèlerins se répartissent
principalement en 3 catégories (2, pp.30-34):
La première, celle des jeunes amoureux de fraiche
date qui marchent la main dans la main, qui
roucoulent mais qui ne parcourent que les dernières
étapes de peur que leur partenaire ne rencontre
quelqu’un qui leur plairait mieux et ne leur
échappe…
La deuxième, celle de ceux et celles qui cherchent
l’âme sœur. Ceux la viennent de loin pour augmenter
leur chance de rencontre et de trouver chaussure à
leur pied.
La troisième est constitué de ceux qui sont mariés,
qui partent seuls sur le chemin parce qu’ils
aspirent à retrouver la liberté et à souffler un
peu…
L’auteur n’appartient bien sûr à aucune de ces trois
catégories !
Il faut attendre la page 69 pour que l’auteur nous
parle de vraies personnes rencontrées (2,
pp.69-80).
Pour nous en dire quoi ? Que le moine qui
l’accueille au monastère de Zenarruza qui avait été
avec lui "d’une politesse un peu mécanique" se
métamorphose à la vue de 4 pèlerines :
« Très émoustillé, il les saisit l’une après
l’autre par le bras…/… il pétrissait l’épaule d’une
monumentale Autrichienne…/… puis massait le coude
d’une Australienne. »
Non seulement l’auteur nous décrit l’émoustillement
du moine mais aussi le regard plein de gourmandise
que lui-même reçoit d’une des arrivantes. , regard
qui lui fit un peu peur ! Plus loin encore, au cours
des vêpres, il reçoit de la même pèlerine un sourire
appuyé qui lui fait dire
« que c’était le mâle en moi qui faisait son
effet »
et le soir couché dans sa tente, il entend un
bruissement qui lui fit craindre
« une ultime tentative pour s’emparer de sa
personne ».
Toute occasion est bonne pour l’auteur pour évoquer
le sexe. Ainsi, alors que dans une église au pays
basque, un groupe de femmes récitaient un rosaire
l’entrée du prêtre
« provoqua une véritable catharsis et peut-être
çà et là quelques émois plus intimes. »
(2. p.168)
et plus loin au cours de son homélie le même prêtre
se saisissait de l’enfant de cœur et
« caressait avec attendrissement la toison
frisée qui couvrait le chef de l’enfant…/…nul ne
semblait s’offusquer de ces gestes équivoques. Le
village avait visiblement abandonné cette proie
docile au curé, un peu comme on jette une souris
vivante à un python. » (2, p.172)
Et si, finalement, une fille
(« très belle…/… au visage fin qu’illuminaient
des yeux bleus)
trouve grâce à ses yeux, c’est pour souligner
longuement au cours des pages suivantes toute la
drague dont elle est l’objet. (2, pp.190-195)
D’autres exemples pourraient encore être relevés…
mais cela me semble suffire…
Les accueillants sont rarement sympathiques.
Nous avons vu plus haut la description de
l’accueillant émoustillé par la vue de la gent
féminine, voici celle du despote :
« Par son attitude, l’homme signifiait qu’il
était souverain en ce territoire. Quiconque y
entrait déposait sa volonté avec ses chaussures et
devait se prêter au bon vouloir du gourou…/… Je
compris qu’il s’agissait de montrer que son empire,
tel celui d’Alexandre, s’étendait jusqu’aux
extrémités de la Terre et que, en un mot, il en
avait vu d’autres. » (2, p.129)
L’auteur reconnait malgré tout que sa perception est
peut-être biaisée :
« D’autres pèlerins, rencontrés plus tard, me
confièrent même que ce fut une de leur meilleures
haltes. Celui que j’avais pris pour un gourou
s’était révélé, paraît-il un hôte plein d’entrain… ».
(2, p.132)
L’exemple donné n’est pas unique, il se répète avec
des variantes :
« l’hospitalier était un gaillard insolent et
revêche qui traitait les pèlerins comme des
condamnés, ce qu’ils sont, c’est entendu, mais
est-il besoins de leur rappeler ? » (2, p.195)
Heureusement pour lui, l’auteur évite de loger dans
les auberges dont il redoute la promiscuité et les
ronflements nocturnes qui l’empêchent de dormir et
préfère camper !
Et lorsque par hasard une aubergiste lui offre un
accueil bienveillant, il ne peut s’empêcher de
revenir à un des ses thème obsessionnel : le sexe :
« Un instant, j’ai eu envie d’embrasser ma
bienfaitrice et il n’est pas impossible que la même
idée lui ait traversé l’esprit, car un homme libre
qui croise votre vie à l’heure du midi, si sale
fut-il et – qui sait ?-justement parce qu’il l’est,
peut faire naître des troubles désirs chez une
employée de mairie. » (2, p.143)
À
remarquer que les seuls accueillants qui trouvent
grâce à ses yeux sont des femmes…
Les repas servis dans les auberges ne sont pas
râgoutant
Ainsi le premier repas dont l’auteur nous parle (au
couvent de Zanarruza) est
« une pitance sortie brulante de la cuisine,
composée probablement avec les restes d’un précédent
Yoga Group…/… sa présentation dans une énorme
gamelle…/… posée à terre …/… donnait à cette
mangeaille l’irrésistible aspect
d’un pâtée pour
chien »(2, p.78).
Le deuxième repas dont il parle ne trouve pas plus
grâce à ses yeux.
« Par la porte ouverte d’une cuisine entraient
des odeurs écœurantes de tambouille. »
et comme d’autres pèlerins
« humèrent ostensiblement l’air chargé de
graillon en émettant des « humm ! » gourmand »
il conclut en disant « Leur indulgence me
stupéfia et surtout me fit comprendre que ce qui
cuisait, n’était
pas destiné au chien attaché à l’entrée du
garage mais bel et bien aux pèlerins ». (2,
pp.125-126)
RUFIN n’aime rien, ni personne.
Rien ne trouve grâce à ses yeux. Il regarde tout de
haut, de très haut, avec mépris, condescendance et
dérision.
En résumé :
Le pèlerin est pingre, voleur, sale, insignifiant ;
dès qu’un homme, qu’il soit pèlerin, accueillants ou
prêtre, croise une femme ou qu’une femme jeune ou
vieille croise un homme, les rapports entr’eux sont
presque obligatoirement équivoques ;
les accueillants sont des despotes ou sont
antipathiques
et enfin les repas servis dans les auberges sont
des brouets infâmes.
Bien sûr l’auteur parle aussi d’autres choses mais
cela ne rachète pas à mes yeux tout le déplaisant
qui domine dans son récit !
En conclusion : MOREAU / RUFIN
Le roman plus vrai que le récit.
Entre celle qui parle avec son cœur et celui qui
fait de l’esprit, lequel sera choisi ?
Lisez le livre « Le vestibule des
causes perdues » !
--------------------------
(1) MOREAU Manon, Le vestibule des causes
perdues, Pocket, 2014
(2) RUFIN Jean-Christophe, Immortelle
Randonnée. Compostelle malgré moi,
Gallimard, 2013, Collection folio, 5833
(3) de SAINT-ANDRÉ Alix, En avant, route !
, Gallimard, 2011, Collection folio
(4) Gwen21, Critique de Gwen 21, en
ligne sur le site « Sens critique » :
Avis sur le livre Le vestibule des causes perdues
par Gwen21 - SensCritique
Mis en ligne le 04/05/2022
pierre.swalus@verscompostelle.be